L’étrange système de l’ancienne monnaie britannique
Pour quiconque utilise l’argent moderne au quotidien, comprendre l’ancien système monétaire britannique peut s’avérer un exercice à la fois déconcertant et fascinant, qui le fera voyager dans 13 siècles d’histoire numismatique européenne.

Une belle collection de 13 pièces de monnaie couvrant 700 ans d’économie britannique, du roi Édouard III à la reine Elizabeth II.
Une excellente idée
Les historiens ne s’entendent probablement pas sur ce qui a valu son surnom au tsar de Russie Pierre le Grand, mais pour les numismates, c’est sans aucun doute le fait qu’il ait introduit, en 1704, d’une monnaie décimale semblable à la nôtre, avec une unité de base divisible par 100. En adoptant la monnaie décimale, Pierre le Grand a fait à son peuple une grande faveur : il l’a libéré de la tyrannie mathématique de l’ancien régime monétaire carolingien, dont l’unité de base était divisible par 240! Ce système déjà millénaire à l’époque n’a été abandonné au Royaume-Uni qu’en 1971.

La Russie a été la première nation d’Europe à décimaliser sa monnaie, mais la Chine avait déjà une bonne longueur d’avance. Ce billet chinois du 14e siècle avait une valeur de 1 000 qian et comporte une image représentant 1 000 pièces regroupées en chapelets de 100.
Source : 1 guan, Chine, 1368-1399, NCC 1963.48.39
L’ancienne monnaie anglaise trouve ses racines dans l’ancienne monnaie française
Le premier roi de la dynastie franque des Carolingiens, Pépin le Bref, a réformé sa monnaie vers l’an 755. Son nouveau système était fondé sur une pièce d’argent, dont il était possible de frapper 240 exemplaires à partir d’une livre de ce métal. À cette époque, la livre était plus légère qu’elle ne l’est de nos jours, car elle était composée de 12 onces « troy ». La livre correspond maintenant à 16 onces, mais une once troy compte 3 grammes de plus qu’une once moderne. Aujourd’hui encore, l’argent et l’or sont mesurés en onces troy.
Lorsque Charlemagne, le fils de Pépin le Bref, a étendu l’Empire franc, ce système de monnaie s’est répandu dans pratiquement toute l’Europe. Les rois saxons d’Angleterre ont adopté le système carolingien vers la fin du 8e siècle, émettant des pennies d’argent du même poids que les deniers francs. Si ce changement a simplifié le commerce européen, il a aussi condamné la monnaie anglaise à devenir de plus en plus déroutante – quoiqu’empreinte d’une charmante excentricité – au fil des 12 siècles qui ont suivi.
Un penny médiéval qui valait son pesant d’or
Le penny n’a pas toujours été que de la menue monnaie. Pendant des centaines d’années, le penny a été une pièce d’argent massif avec un réel pouvoir d’achat. Selon certaines sources historiques, dans l’Angleterre anglo-saxonne, un penny permettait d’acheter 15 poulets. Les plus riches pouvaient même se permettre d’allonger quatre pennies pour un « essaim d’abeilles après le mois d’août ». Impressionnant! Mais outre les abeilles d’occasion, beaucoup de choses coûtaient beaucoup moins qu’un penny. Tout comme aujourd’hui, l’économie britannique avait besoin d’un ensemble de pièces de différentes valeurs.
La revanche des Romains?
L’histoire des peuples britanniques est la somme des influences de ceux qui ont conquis leurs territoires, et les pièces romaines ont été la monnaie de l’Angleterre pendant plus de 400 ans. Les Romains sont également à l’origine des symboles en apparence insensés qui désignent les différentes pièces de monnaie britanniques. L’ancienne forme plurielle de penny est pence, et son symbole est le « d ». Mais pourquoi le « d »?! Ce symbole est en fait l’abréviation de denarius (denier), l’une des pièces de la monnaie romaine. La livre est quant à elle désignée par le symbole « £ », ce qui se conçoit un peu mieux quand on sait qu’il s’agit de la forme abrégée du mot latin libra, une mesure de poids romaine (que l’on retrouve aussi dans notre abréviation de livre, soit « lb »). Le symbole du shilling est le « s », ce qui semble tout à fait logique. Mais détrompez-vous : c’est l’abréviation de solidus, une pièce de monnaie latine.

Allectus était un trésorier naval romain qui s’est emparé illégalement du pouvoir en Grande-Bretagne et dans le nord de la Gaule en 286. Il a établi un atelier monétaire à Londinium (Londres) et émis des pièces pour faire valoir sa position en tant qu’empereur.
Source : Antoninien, Rome antique, Grande-Bretagne, 293-296, NCC 1967.83.1098
Mais qu’en est-il de la « livre sterling »?
La période anglo-saxonne a pris fin de manière assez soudaine en 1066 avec la sanglante, mais victorieuse conquête de l’Angleterre par le prince Guillaume de Normandie. Bien qu’il ait entraîné dans son sillage des changements cataclysmiques sur l’île, il n’a pas jugé bon de modifier le système monétaire, alors identique à celui de la France. C’est à cette époque que le penny a commencé à se faire appeler le sterling. Et 240 pennies correspondaient à une livre de sterlings, ou à une « livre sterling ». Ça vous dit quelque chose?
Pendant une grande partie de son histoire, la monnaie britannique s’est déclinée en livres, en shillings et en pence. Pour que ce soit tout sauf simple, 1 shilling valait 12 pence, et une livre valait 20 shillings.

Sur ce penny datant du règne de Guillaume le Conquérant figure le mot PAX, le mot latin signifiant « paix ». Il servait de propagande pour un colonisateur qui avait remplacé de force la haute société anglo-saxonne par la société normande en Angleterre.
Source : Penny, Angleterre, 1066-1087, NCC 1966.98.103
Des pièces des plus étonnantes
Autour de ces trois pièces de base se trouve toute une série de pièces s’échelonnant sur plus d’un millénaire de monnaies réglementées. Toutes n’ont pas existé en même temps : elles ont suivi les aléas de l’économie et de la politique, et les valeurs changeantes des métaux précieux. Elles pouvaient toutes être exprimées en pence ou en shillings, question de rendre les choses légèrement cohérentes, mais ont perpétué la tradition numismatique britannique, qui se caractérise par un curieux mode de divisibilité et une certaine étrangeté.
La plupart de ces pièces ont été émises sous forme de fractions et de multiples. À différentes époques, il était possible de payer avec un demi-ange, une pièce de deux pence (tuppence), de trois pence (thruppence) ou de six pence (sixpence), un demi-penny, un quart de guinée, un demi-laurel, une demi-couronne, un double florin et, mieux encore, une pièce de trois demi-pence! La monnaie était également désignée par de multiples surnoms comme copper, ha’penny, mag, bob, tanner et quid.
Un système monétaire plus que désuet
L’inconvénient du système carolingien a toujours été la valeur instable de la livre d’argent. Le pouvoir d’achat d’un penny en poche variait selon la valeur marchande du métal dont il était frappé et parfois même selon l’usure de la pièce en question. À l’occasion, la valeur des métaux précieux changeait si rapidement que la monnaie devait être réformée. Une pièce comme l’unite d’or était donc appelée à disparaître pour être remplacée par une pièce valant le même nombre de pence, mais de plus petite taille. Si ce type de réforme a été monnaie courante pendant une grande partie de l’histoire numismatique de l’Europe, elle est devenue assez inhabituelle dans toutes les économies après la Première Guerre mondiale.
Tout cela a pris fin le 15 février 1971, jour où le Royaume-Uni a officiellement introduit le système des pièces décimales dans l’économie publique. Pendant deux ans, des campagnes publicitaires ont été diffusées et la plupart des prix ont été affichés dans les deux systèmes. Cela n’a toutefois pas suffi à dissiper la confusion générale, les commerçants pressés étant obligés de rendre la monnaie en pièces décimales pour des paiements effectués selon l’ancien système. Les shillings, les florins et les couronnes ont ensuite disparu, laissant place à des pièces basées sur une livre divisée en 100 pence.
Très rationnel. Très simple. Mais certainement pas aussi charmant.

Lorsque le Royaume-Uni a adopté les nouvelles pièces décimales, il était possible de s’en procurer un jeu complet dans un étui en guise de souvenir. Ces étuis se trouvent encore très facilement auprès des marchands de monnaie et en ligne.
Source : ½ penny; 1 penny; 5 pence; 10 pence; 20 pence, Royaume-Uni, 1971
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