Quand les mondes virtuels offrent une immersion dans l’économie d’aujourd’hui
Les jeux vidéo modernes et complexes peuvent amener les joueurs à grandement améliorer leur capacité décisionnelle et leur littératie financière.
Les jeux vidéo ne datent pas d’hier. Mais ils ont fait beaucoup de chemin depuis les simples plateformes à défilement et le tennis de table virtuel : Mario ramasse des pièces de monnaie depuis maintenant 35 ans et la version originale d’Atari célèbre son 44e anniversaire en 2021!
Poison ou bonbon pour le cerveau?
À l’époque où les jeux vidéo commençaient à faire leur apparition dans nos salons, les parents n’hésitaient pas à les qualifier d’énorme perte de temps pour les enfants. Mais ces jeunes qui ont grandi manette en main sont à leur tour parents, et les mentalités sont en train de changer. De nos jours, le joueur moyen a 36 ans et est plus à même de voir la valeur éducative d’un bon jeu vidéo. En effet, les mondes virtuels ne manquent pas d’occasions pour initier les petits à l’épargne, aux dépenses et à d’autres notions utiles d’économie.
Certains vont dire que les jeux vidéo ramollissent le cerveau, mais je pense qu’ils font travailler des muscles qui ne sont peut-être pas sollicités en temps normal. » [traduction libre]
Ezra Koenig (Vampire Weekend)
Expérimenter sans rien risquer
Commençons avec un élément au cœur de la plupart des jeux vidéo d’aujourd’hui : les monnaies virtuelles. En effet, dans bien des cas, les joueurs doivent apprendre à gagner de l’argent et à le dépenser judicieusement pour faire progresser leur personnage. Même les premières versions de Mario Bros. montraient à épargner. Par exemple, amasser 100 pièces d’or permettait d’obtenir une vie supplémentaire (et c’est encore le cas aujourd’hui, preuve que l’inflation n’est pas toujours inévitable!). Dans les jeux vidéo modernes, toutefois, l’équation n’est pas aussi évidente : décider quand épargner et quand dépenser demande beaucoup de discernement.
Heureusement pour les joueurs amateurs, expérimenter dans un monde virtuel fermé est beaucoup moins risqué que dans le vrai monde : mieux vaut s’offrir une virée de magasinage avec une monnaie de jeu qu’avec son argent de poche!
Dans les jeux vidéo, la valeur de la monnaie et des objets peut varier selon la difficulté du jeu, l’habileté du joueur et la popularité de certains objets, comme la pierre de Jordanie, un anneau qui pouvait être collecté dans l’une des premières versions de la célèbre série Diablo. Cet objet était une meilleure monnaie d’échange que l’or puisqu’il présentait de nombreux points communs avec l’argent réel. En effet, il était :
- rare, mais pas trop;
- facile à garder et à transporter;
- couramment échangé.
Mentionnons toutefois que la pierre de Jordanie est progressivement devenue très facile à dupliquer, ce qui lui a fait perdre de la valeur. N’est-ce pas là une bonne leçon d’économie?
Une potion ou un fusil de précision?
Tirer le meilleur parti de ressources limitées est à la base de l’économie. Par exemple, investir ou non dans du matériel spécialisé est un dilemme qui se pose aussi bien dans la vraie vie que dans les jeux axés sur la collecte d’objets. Dans un jeu de combat, vous voudrez probablement consacrer une bonne partie de vos épargnes à l’achat d’une arme redoutable, comme une épée super puissante. Mais si vous êtes futé, vous garderez suffisamment de fonds pour vous procurer d’autres articles utiles, comme des potions de guérison ou un bouclier magique. On n’est jamais trop prudent! Chacune de ces décisions donne aux joueurs l’occasion de se familiariser avec des concepts économiques comme :
- les coûts d’opportunité, soit ce qu’ils perdent à choisir un objet plutôt qu’un autre;
- les coûts irrécupérables, soit l’argent gaspillé sur une tenue élégante pour leur personnage juste avant de partir en guerre.
Un terrain de jeu pour les économistes
Les économies dans les jeux vidéo peuvent suivre leurs propres règles. Dans les jeux de rôle en ligne massivement multijoueur, comme Eve Online, World of Warcraft, RuneScape et Guild Wars 2, des centaines de milliers de joueurs interagissent et utilisent divers moyens de financement et de paiement, et parfois même de l’argent réel. Certains jeux ont même leurs propres banques, marchés boursiers et groupes commerciaux.
Les grands développeurs de jeux vidéo vont même jusqu’à embaucher des économistes pour les aider à comprendre et à ajuster les économies dans leurs jeux. Pour un économiste, c’est là une occasion exceptionnelle de mettre à l’essai des théories économiques sans risquer des conséquences économiques graves, comme ce serait le cas dans le monde réel.
Donjons et inflation
Les donjons multiutilisateurs des années 1980 et 1990 – appelés MUD, ou multi-user dungeons, dans le jargon – sont à l’origine des jeux multijoueurs d’aujourd’hui. En clin d’œil à ce type d’environnement, on a commencé à utiliser le terme MUDflation pour décrire l’inflation dans les économies de jeux vidéo modernes. De façon plus générale, la MUDflation désigne les situations où les joueurs d’une communauté en ligne collaborent pour s’enrichir rapidement dans un jeu, ce qui a pour effet involontaire de faire baisser la valeur de la monnaie du jeu. Mais ce phénomène n’a rien de surprenant si on comprend le principe de l’offre et de la demande.
Les nouvelles extensions et les événements du monde réel peuvent aussi créer de la MUDflation s’ils bouleversent les valeurs fixées par le développeur pour les biens et services offerts dans le jeu. Au Venezuela, par exemple, de nombreux joueurs d’Old School RuneScape se sont mis à consacrer des heures à répéter les mêmes actions pour amasser rapidement de grandes quantités d’or. Ils vendaient ensuite leur magot à d’autres joueurs contre de la monnaie réelle pour arriver à subsister malgré l’hyperinflation du bolivar, la monnaie nationale. Les prix de l’or et d’autres articles jusque-là stables dans le jeu se sont effondrés lorsque le pays a été frappé de pannes d’électricité, empêchant alors les Vénézuéliens d’accéder au jeu. À l’image de ce qui se passait dans l’économie réelle, ce choc a ébranlé l’économie virtuelle d’Old School Runescape.
Quelques suggestions
Voici quelques jeux vidéo populaires pour mettre en pratique et explorer des concepts économiques réels de façon amusante (et peut-être même addictive!).
- Les séries Civilization, Capitalism, Offworld Trading Company, Theme Park World et SimCity – Dans ces jeux, les joueurs peuvent prendre le contrôle d’un monde ou d’une société, ou devenir un magnat des affaires. Ils créent de nouvelles expériences et des micromondes où l’emploi, les dépenses, les revenus et les infrastructures doivent être gérés efficacement. Souvent, ils doivent aussi faire preuve de diplomatie.
- Les jeux de commerce, y compris les jeux d’agriculture virtuelle, comme Stardew Valley ou la série Harvest Moon – Ces jeux amènent les joueurs à se familiariser avec la stabilité des marchés et à :
- cultiver la terre et récolter ses produits;
- vendre des produits d’origine animale;
- extraire des minéraux pour créer de la richesse dans le jeu.
- La série Animal Crossing – Cette série populaire a son propre marché qui permet aux joueurs d’acheter des navets qu’ils peuvent revendre à différents prix chaque jour jusqu’à ce qu’ils pourrissent une semaine plus tard.
Restez dans le jeu!
Il ne faut pas mettre tous les jeux vidéo dans le même sac. Ce n’est pas parce qu’un n’intègre pas de concepts économiques que c’est le cas de tous les autres. Les jeux vidéo peuvent donner aux joueurs l’occasion de :
- comprendre le rôle et le fonctionnement des marchés;
- s’exercer à faire des investissements;
- concevoir, acheter et vendre des produits et services dans des magasins virtuels, et ainsi développer leur esprit d’entrepreneuriat.
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