Comment l’île a perdu sa monnaie en entrant dans la Confédération
Les derniers vestiges de la monnaie terre-neuvienne ont disparu avec la signature de l’accord sur les conditions de l’union avec le Canada. L’entrée de l’île au sein de la Confédération a marqué la fin d’une époque où les colonies émettaient leurs propres pièces et papier-monnaie.
Terre-Neuve : l’île aux morues
Quand Jean Cabot débarque au cap Bonavista en 1497, il revendique l’île au nom du roi Henri VII d’Angleterre. Ce dernier l’appelle alors « New Found Launde » (qui signifie « terre nouvellement découverte »). Ironiquement, pendant des siècles, Terre-Neuve (et aujourd’hui le Labrador) était moins connue pour sa « terre » que pour ses mers et leurs riches bancs de morues. En fait, sur certaines cartes portugaises du début du 16e siècle, elle était nommée terra do Bacalhau ou ilha do Bacalhau, soit « terre ou île aux morues ». Étant donné que la morue allait être le moteur économique de cette colonie pendant les 400 années suivantes, le nom portugais aurait peut-être été plus pertinent.
Plusieurs peuples autochtones d’Amérique du Nord, dont les Inuit, les Innus, les Wolastoqiyik, les Mi’kmaq et les Béothuks, pêchent la morue de l’Atlantique depuis des milliers d’années. Ce que nous appelons aujourd’hui Terre-Neuve s’appelait Ktaqmkuk quand les Européens ont débarqué. À l’époque, l’île était habitée par les Béothuks et les Mi’kmaq.
Terre-Neuve est devenue un lieu de pêche international. Des pêcheurs portugais, espagnols, basques, français, anglais et néerlandais exploitaient les Grands Bancs. Des bateaux de partout en Europe traversaient l’océan Atlantique au printemps, se massaient au large de Terre-Neuve pour jeter leurs filets et établissaient des campements temporaires sur les côtes pour faire sécher leurs prises. Ils ne s’intéressaient guère à l’île ou à ses habitants. Pour eux, ce qui comptait, c’était le poisson!
Colonisation, poisson comme monnaie d’échange et pièces de monnaie
Pendant près de 200 ans après le débarquement de Cabot, Terre-Neuve est restée largement inhabitée par les Européens. En 1610, quelques pêcheurs anglais hivernent à Cupids, dans la péninsule d’Avalon. Au bout de quelques années, la population du site s’élève à 62 personnes, dont quelques familles. Dix ans plus tard, en 1623, l’Angleterre crée la colonie d’Avalon, dont le principal établissement est Ferryland. Cette colonie est fondée essentiellement pour soutenir la pêche. En 1655, les Français s’installent à Plaisance (aujourd’hui nommée Placentia), située de l’autre côté de la péninsule. La coexistence entre les colons anglais et français au cours de ces années est tendue, voire violente. Une campagne, lancée par les forces françaises, commence en 1696 par un assaut contre Ferryland. En l’espace de trois mois, 23 établissements anglais sont détruits le long de la péninsule d’Avalon.
À la suite de cette destruction, l’Angleterre adopte une nouvelle loi en 1699 autorisant l’établissement permanent des Anglais à Terre-Neuve afin de protéger ses intérêts de pêche contre toute agression française. Le traité d’Utrecht de 1713 cède définitivement Terre-Neuve à la Grande-Bretagne, bien que les Français conservent des droits spéciaux avec une base de pêches sur les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon. Même si les mesures du gouvernement britannique visant à décourager la colonisation ont été efficaces, Terre-Neuve compte une population d’environ 2 000 colons en 1700. L’arrivée des colons européens entraîne l’apparition de maladies comme la tuberculose, qui fait d’énormes ravages chez les Béothuks. Sans ressources et aide extérieure pour lutter contre cette maladie, la population des Béothuks décroît au cours des 18e et 19e siècles, et finit par s’éteindre.
Les pièces de monnaie étaient rares à Terre-Neuve, ce qui n’était pas inhabituel dans les colonies anglaises. Pendant des décennies, le commerce sur l’île reposait sur un système de crédit, et la morue séchée était le produit local qui servait de monnaie d’échange. Au printemps, les marchands de l’île équipaient les pêcheurs, et les pêcheurs réglaient leur compte à l’automne avec leurs prises saisonnières. Les marchands exportaient la morue salée et séchée vers l’Europe, l’Amérique du Sud et les Caraïbes. Le recours à un système de crédit et l’usage généralisé de lettres de change pour régler les transactions entre les marchands de l’île et leurs fournisseurs en Europe ne font que confirmer le manque de pièces de monnaie. Les pièces n’étaient pas disponibles en quantité suffisante pour le commerce, et pouvaient encore moins servir de capitaux pour faire croître l’économie.
Autonomie et économie halieutique
Tout au long du 19e siècle, alors que Terre-Neuve passe du statut d’escale de pêche migratoire à celui de dominion britannique autonome, l’industrie florissante de la pêche à la morue attire les immigrants qui espèrent gagner leur vie sur l’île. La colonie prospère grâce à la pêche, qui représente 60 % de son activité économique et, en 1884, plus de 90 % de ses exportations. Le gouvernement local, sous la houlette des conservateurs au pouvoir qui sont opposés à la Confédération, rejette les invitations à rejoindre le Canada en 1867. Pourtant, à la fin du siècle, les exportations de morue sont en forte baisse, ce qui influe sur le potentiel de croissance économique de la colonie. À la fin des années 1870, le recours à d’autres industries, comme celles du bois d’œuvre, des pâtes et papiers et de l’exploitation minière, semble prometteur. Mais le manque d’infrastructures, en particulier de moyens de transport pour se rendre à l’intérieur de l’île, entrave leur progression. La flambée des coûts de construction de chemin de fer n’arrange rien. De plus, les faibles recettes et l’endettement croissant compliquent les projets du gouvernement, et la pénurie de monnaie aggrave le problème. Tout cela retarde l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, qui aura finalement lieu en 1949.
Pièces et billets provinciaux
Avant d’entrer dans la Confédération, chaque colonie britannique d’Amérique du Nord avait sa propre monnaie. Même l’Île-du-Prince-Édouard a eu son propre cent en 1871! Mais Terre-Neuve avait des pièces exceptionnelles. C’est la seule colonie à avoir émis une pièce d’or, et elle a frappé des pièces pendant plusieurs années jusqu’en 1947. En 1863, la législature de Terre-Neuve adopte une loi pour la réglementation de la monnaie (26 Victoria, chapitre 18), qui établit la monnaie de la colonie en dollars et en cents et définit les valeurs et les caractéristiques des pièces. La monnaie en circulation est alors composée de pièces de 1 cent en bronze, de pièces de 5, 10, 20 et 50 cents en argent et de pièces de 2 dollars en or. En plus de frapper des pièces, le gouvernement de Terre-Neuve émet également des billets tirés sur le Trésor provincial pour financer des projets. Deux banques à charte locales, la Commercial Bank of Newfoundland et la Union Bank of Newfoundland, émettent des billets de banque.
Panique financière et faillite des banques locales
Les deux banques de Terre-Neuve, la Commercial Bank et la Union Bank, sont les principales sources de capitaux et de monnaie de la colonie. Mais en 1894, elles sont mises à rude épreuve à cause du déclin de la pêche à la morue, des difficultés rencontrées pour accroître la production minière et de l’augmentation des coûts de construction du chemin de fer. Elles sont à découvert et au bord de l’insolvabilité. Ayant eu vent de ces rumeurs, les gens cherchent à retirer leur argent des banques, mais apprennent que ces dernières n’ont plus de fonds. Incapables de respecter leurs obligations financières, les deux banques ferment définitivement leurs portes le 10 décembre 1894. Les effets sont immédiats : les entreprises font faillite, les travailleurs perdent leur emploi et les prix de la nourriture et d’autres produits essentiels augmentent. Toute la colonie est au bord de la faillite. La conversion de la monnaie est suspendue jusqu’à ce que Terre-Neuve adopte une loi visant à liquider les affaires des banques en faillite et à permettre à d’autres, à savoir la Banque de Montréal, la Banque de Nouvelle-Écosse et la Merchant’s Bank of Halifax (qui deviendra plus tard la Banque Royale du Canada), de venir à la rescousse de la colonie. Les billets de la Commercial Bank et de la Union Bank font l’objet d’escomptes élevés. Les habitants de Terre-Neuve qui avaient fait confiance aux banques pour protéger leurs économies ont presque tout perdu.
Passage au 20e siècle : les mentalités à l’égard de la Confédération changent
Terre-Neuve ne s’est jamais complètement remise de la crise financière de 1894. Au cours des décennies suivantes, la perspective d’entrer dans la Confédération paraît de plus en plus attrayante. Mais le reste du Dominion du Canada n’est pas très enthousiaste à l’idée d’accepter l’île et ses problèmes économiques. Pendant la Première Guerre mondiale et la Grande Dépression, les finances de Terre-Neuve sont dans un état lamentable – à tel point qu’en 1934, le Parlement britannique suspend le gouvernement de Terre-Neuve et nomme une commission de gouvernement dans l’espoir de guider la colonie vers la reprise. La Seconde Guerre mondiale provoque un revirement de situation grâce à l’augmentation de l’immigration et à l’afflux d’argent destiné à l’effort de guerre. Terre-Neuve est à nouveau sur la voie de la stabilité économique et financière, juste à temps pour que les pourparlers d’adhésion à la Confédération reprennent.
1949 : Terre-Neuve se joint enfin au Canada
En décembre 1945, le Parlement britannique annonce que Terre-Neuve tiendra une convention nationale pour décider de l’avenir politique de la colonie : l’autonomie ou l’union avec le Canada. Il y a autant d’anti que de pro-Confédération, mais les partisans de la Confédération, menés par Joey Smallwood, remportent la motion d’aller à Ottawa pour discuter des conditions de l’union avec le Canada. Plusieurs délégués de la convention nationale rejettent les conditions provisoires car ils sont en désaccord sur le style de gouvernement, mais une campagne active en faveur de l’adhésion au Canada permet de faire inscrire la Confédération sur le bulletin de vote du référendum qui suivra la convention nationale. Le 3 juin 1948, les Terre-Neuviens se rendent aux urnes. En raison du faible taux de participation, les votes sont partagés et aucune option n’obtient la majorité absolue. Un second référendum est tenu le mois suivant et la population vote pour la Confédération. Les conditions officielles de l’union entre Terre-Neuve et le Canada sont signées le 11 décembre 1948 et ratifiées par le Parlement canadien en février 1949. Terre-Neuve intègre l’Union canadienne. Même s’il est physiquement séparé de l’île, le Labrador a toujours fait partie de Terre-Neuve. La province change officiellement son nom en 2001 pour devenir Terre-Neuve-et-Labrador afin d’être reconnue comme une seule et même entité.
Une pièce spéciale pour marquer l’événement
Pour célébrer l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération en 1949, la Monnaie royale canadienne émet un dollar en argent. Elle n’avait produit que deux pièces commémoratives jusque-là, mais ce moment marquant de l’histoire du Canada méritait bien d’être souligné! Le revers représente le Matthew, le navire qui a amené Jean Cabot à Terre-Neuve en 1497.
La monnaie de Terre-Neuve : un trésor pour les amoureux du patrimoine
L’adhésion de Terre-Neuve à la Confédération a marqué le début d’une nouvelle ère dans l’histoire du Canada. Mais pour les Terre-Neuviens, qui étaient habitués à utiliser leur propre monnaie, cet événement a dû susciter quelques inquiétudes. Même si les pièces de monnaie canadiennes et les billets de la Banque du Canada circulaient au pair dans la province depuis des années, la monnaie terre-neuvienne était particulière à bien des égards. Les valeurs et les motifs étaient différents, et Terre-Neuve avait une pièce d’or unique au monde. Mais surtout, ses pièces et billets étaient émis pour des dizaines d’années, contrairement à la monnaie émise ponctuellement par les colonies comme la Province du Canada, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. Les pièces et le papier-monnaie de Terre-Neuve sont une niche très active du marché de la collection de monnaie, et sont très prisés des collectionneurs passionnés. Cette monnaie n’est plus en circulation depuis longtemps, mais la nostalgie perdure.
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