La Grande Dépression a marqué un tournant dans l’histoire économique – un moment où la nature de l’argent et la façon dont il est régi ont changé pour toujours.
Les années 1920 : règne de l’optimisme économique
Après la victoire des Alliés et la fin de la Première Guerre mondiale, une confiance exubérante dans l’économie florissait partout au Canada et aux États-Unis. Des technologies modernes comme les appareils de cuisine, les radios et les automobiles inondaient le marché – et devenaient accessibles à une population enthousiaste grâce à la magie du crédit.
Grâce au crédit, les gens ordinaires pouvaient profiter de l’effervescence du marché boursier en empruntant pour acheter des actions « sur marge ». Ainsi, une personne pouvait acheter des actions en payant seulement 40 %, 30 % ou même 10 % de leur valeur, dans l’espoir de les vendre plus tard et de rembourser le prêt avec les énormes profits que faisaient miroiter les courtiers. En 1929, 40% de la dette à la consommation aux États-Unis était consacré à l’achat d’actions. Des milliers de gens au Canada ont aussi dépensé tout leur argent pour profiter de la manne. Beaucoup croyaient qu’un futur riche et prospère les attendait, et les marchés ont monté en flèche.
1929 : La bulle
Une bulle économique est un cycle d’achat caractérisé par une hausse vertigineuse et constante des prix, suivie d’une dégringolade souvent soudaine – comme une bulle qui grossit jusqu’à éclater. Investir dans une bulle équivaut à faire de la spéculation : acheter des titres, comme des actions, en croyant que leur prix continuera de monter et qu’ils nous procureront des profits alléchants au moment de la vente. Tant que l’offre demeure constante et que le nombre d’acheteurs augmente, la valeur des titres continue de monter – et les détenteurs hésitent à les vendre. C’est une prophétie autoréalisatrice à l’aboutissement tragique. À la fin de l’été 1929, les marchés boursiers canadiens et américains incarnaient parfaitement une bulle économique dans un état avancé. Beaucoup voulaient croire que le marché boursier galopant était la preuve d’une économie florissante. Ce n’était pas le cas.
Chaque époque a sa folie particulière : un projet ou un rêve dans lequel la société plonge, motivée par l’appât du gain, la nécessité de l’engouement ou l’esprit d’émulation. [Traduction]
Charles Mackay, Délires populaires extraordinaires et la folie des foules
Ce que cachait la bulle
En fait, la majeure partie du monde avait plutôt mauvaise mine dans les années 1920. L’Europe dévastée peinait encore à se remettre de la Première Guerre mondiale, et beaucoup de nations imposaient des droits de douane pour protéger leur production intérieure. Partout dans le monde, les prix de la plupart des produits de base étaient en baisse et le commerce international était dans un creux.
Ici, les producteurs canadiens de bois d’œuvre, de charbon et de blé avaient de la difficulté à trouver des marchés. Pire encore, l’été 1929 marquait le début de la sécheresse qui allait accabler les Prairies pendant huit ans. En ville, les salaires stagnaient et l’endettement des ménages s’emballait. Toutes les autos, radios et laveuses qu’on fabriquait ne pouvaient pas être vendues à l’étranger, et le marché nord-américain dépendait grandement du crédit. Les choses ne pouvaient pas continuer ainsi.
Le krach
Le glas a fini par sonner. À l’automne 1929, les actions de grandes entreprises bien établies ont commencé à fléchir. Les actionnaires voyaient des signes que le temps était venu de vendre. Les courtiers ont commencé à vendre leurs titres, et les prix des actions se sont mis à chuter dans tous les secteurs. Les ventes massives qui s’en sont suivies ont accentué la dégringolade des prix, alimentant le cercle vicieux. Le 29 octobre, après plusieurs jours de ventes et d’achats frénétiques, 25 milliards de dollars américains (450 milliards en dollars d’aujourd’hui) d’avoirs personnels s’étaient évaporés de la Bourse de New York. L’équivalent s’est produit sur les bourses canadiennes. Qu’en était-il des pauvres gens qui avaient acheté des actions « sur marge »? Ils se retrouvaient les mains vides, avec une lourde dette.
L’onde de choc
Si l’économie est une forêt, le marché boursier est un arbre parmi d’autres. Mais quand cet arbre est tombé en 1929, il en a entraîné de nombreux autres avec lui. Les banques commerciales avec lesquelles la population américaine faisait affaire au quotidien investissaient massivement dans les marchés boursiers, ce qui est illégal aujourd’hui. De plus, le système bancaire américain était un fragile ensemble de petites banques indépendantes isolées. Lorsqu’elles ont commencé à tomber, leur clientèle en panique a tenté de retirer son épargne. Même des banques en bonne santé financière ont été emportées. Au total, c’est plus de 9 000 banques américaines qui devaient disparaître. Aucune banque canadienne n’a connu le même sort, mais les États-Unis étaient (et sont toujours) notre plus important partenaire commercial, donc ces bouleversements ont eu de profondes répercussions sur notre économie. Le crédit a disparu du jour au lendemain, forçant les entreprises à fermer leurs portes. Le chômage a monté en flèche des deux côtés de la frontière, et les troubles civils grondaient.
Avec l’intensification de la récession, tous les prix ont continué de chuter, y compris ceux des aliments et du carburant, portant un coup fatal aux secteurs canadiens de l’agriculture et des ressources. La Saskatchewan, où les prix des céréales connaissaient un creux historique, a perdu 90 % de ses revenus en deux ans. En 1933, le produit intérieur brut du Canada avait reculé de plus de 40 %, et le chômage atteignait 20 %. À l’époque, il n’existait pratiquement aucun soutien pour les gens sans emploi. L’itinérance et la pauvreté sont devenues la norme pour des milliers de personnes au pays.
Obstacles à la reprise
Un des plus gros obstacles empêchant de résoudre la crise des deux côtés de la frontière était l’étalon-or. À l’époque, la quantité d’argent au sein de l’économie d’un pays était directement liée à la quantité d’or qu’il avait dans ses coffres. Quiconque avait en main de l’argent pouvait le convertir en or. Le gouvernement, pour être en mesure de créer des emplois, avait besoin de plus d’or. Aux États-Unis, une partie des réserves quittait le pays, parce que des détenteurs étrangers de monnaie américaine pris de panique voulaient l’échanger pour de l’or. La Réserve fédérale américaine a donc décidé de hausser les taux d’intérêt à répétition pour faire grimper la valeur du dollar et dissuader les investisseurs d’échanger leur argent pour de l’or. Cela a fait en sorte que l’or reste au pays. Cependant, les hausses de taux ont asséché le crédit qui aurait permis de revitaliser l’économie. Ce processus a contribué activement à empirer la Grande Dépression tout au long des années 1930.
Contourner les obstacles
La pratique moderne qui veut que les gouvernements dépensent davantage en période de récession était une idée choquante pour la plupart des politiciens des années 1930. Elle est issue des théories de l’économiste John Maynard Keynes : les ralentissements font reculer les dépenses, ce qui entraîne une récession. Par conséquent, il faut dépenser pour relancer l’économie. C’est ce qu’a fait le président américain Franklin Delano Roosevelt avec son ensemble de mesures mises en place en 1933. Appelée le « New Deal » (nouvel accord), cette initiative a permis de créer des emplois et de stimuler les investissements. Roosevelt a également aboli l’étalon-or. Les hausses successives de taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine continuaient de freiner la circulation de l’argent, et le New Deal n’a pas tout réglé, mais il y avait une lumière au bout du tunnel.
Au Canada, le premier ministre Richard Bedford Bennett a proposé un plan similaire juste à temps pour les élections de 1935. Il prévoyait des allocations, un salaire minimum et d’importantes dépenses publiques. Toutefois, les gouvernements provinciaux y voyaient une incursion dans leurs champs de compétences, et le plan a été en grande partie invalidé par les tribunaux. Une des recommandations qui a survécu prévoyait la création d’une banque centrale pour réguler l’économie. C’est ainsi que, en 1935, la Banque du Canada a vu le jour.
Au cours des années suivantes, la Banque a assuré la stabilité du système bancaire. Le Canada avait abandonné l’étalon-or durant la Première Guerre mondiale, et l’a fait de nouveau en 1931. Elle a continué de prendre ses distances par rapport à un système considéré comme restrictif et obsolète. Cela a permis de libérer partiellement le crédit, mais la Banque ne pouvait guère régler les nombreux problèmes sous-jacents liés à la Grande Dépression. Il n’y avait toujours pas de marchés d’outre-mer pour nos produits, et les prix stagnaient.
De plus, les sécheresses ont continué d’affliger périodiquement les Prairies jusqu’à l’été de 1937 – freinant la reprise au Canada. Des centaines de milliers de fermes ont fait faillite et ont été saisies ou abandonnées. Une partie importante des populations de l’Ouest a quitté les Prairies ou migré vers les villes.
Tragiquement, il a fallu une des plus grandes catastrophes humaines de l’histoire pour stimuler les dépenses et mettre fin à la Grande Dépression : la Seconde Guerre mondiale.
Leçons apprises
Les causes de la Grande Dépression font encore l’objet de débats, mais la plupart des historiennes et historiens s’accordent pour dire que le krach de 1929 n’en était pas l’unique condition. Le krach a certainement servi de catalyseur, mais l’incapacité des gouvernements à en gérer les répercussions est largement considérée comme ayant contribué à l’enracinement des conditions qui ont fait durer la Grande Dépression. Ce qu’a permis le krach boursier de 1929, c’est de révéler crûment les faiblesses des systèmes économiques issus du capitalisme débridé de la fin du 19e siècle. La plupart des dirigeants du début du 20e siècle n’ont pas su faire preuve de la prévoyance, de la souplesse et de la pensée novatrice qui auraient permis d’éviter une dépression mondiale. Les choses sont très différentes aujourd’hui.
Les avis sont encore partagés de nos jours, mais on estime généralement qu’on ne peut pas s’attendre à ce que les problèmes économiques se règlent d’eux-mêmes, pas plus qu’on peut laisser les investisseurs et les courtiers s’autoréglementer. Oui, l’économie est une machine qui fonctionne selon la théorie – mais seulement lorsqu’elle est réglementée et gérée avec humanité.
… les décisions humaines engageant l’avenir sur le plan personnel, politique ou économique ne peuvent être inspirées par une stricte prévision mathématique… [Traduction]
John Maynard Keynes
Ce que voulait dire M. Keynes, c’est que lorsque nous pensons à l’économie, nous devons tenir compte de tous les besoins, souhaits et tentations des gens – ces vulnérabilités humaines qui influent grandement sur l’économie, mais sont difficiles à mesurer. Ainsi, des problèmes économiques continueront de surgir de façon inusitée et inattendue, et les autorités devront faire preuve de souplesse et de prévoyance pour les résoudre.
La crise des prêts hypothécaires à risque de 2008 ou la pandémie de COVID-19 auraient pu entraîner une dépression. Mais nous y avons échappé. Oui, la résolution de ces crises s’est traduite par sacrifices financiers douloureux, un lourd endettement et des craintes pour l’avenir. Mais, somme toute, il est peu probable que l’on connaisse à nouveau une telle décennie perdue sous le signe de la famine, de la privation, du désespoir, de la colère et du désir pour un nouvel ordre des choses. Il y a là une certaine source de réconfort.
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