La petite histoire de notre patrimoine architectural
L’immeuble de 1938 : l’élégance dans la sobriété
Les banques construites à une certaine époque se reconnaissent facilement. Vaguement inspirées de temples grecs et de thermes romains, elles se retrouvent à divers coins de rue dans tous les centres-villes du pays. Malheureusement, elles sont tout ce qui reste de l’excentrique charme victorien des villes canadiennes d’autrefois. Qui sait, la puissance et le prestige que leur architecture voulait évoquer auront peut-être agi comme enchantement pour résister à l’épreuve du temps. Bon nombre de ces vieux immeubles abritent encore des banques, mais d’autres ont été convertis en restaurants, en centres d’information touristique ou même en studios de santé. Le Temple de la renommée du hockey, à Toronto, en est un des plus beaux exemples.
Même s’il ne se perd pas derrière une forêt de colonnes classiques, l’immeuble de 1938 de la Banque du Canada a sans contredit les traits d’une ancienne banque. Mais contrairement à la plupart des hauts lieux de commerce canadiens, son élégance tient principalement à sa sobriété. Son style discret – appelé « classicisme dépouillé » – intègre les caractéristiques du style classique, mais dans une forme plus suggérée qu’affirmée. Bref, c’est un immeuble qui ne cherche pas à déranger.
La philosophie derrière l’architecture de l’immeuble est le reflet de son époque : la Grande Dépression. En contraste, l’édifice de la Banque de Montréal construit à quelques coins de rue dans les années 1920 est pour sa part plus détaillé et ornementé. On pourrait même le qualifier d’ostentatoire. Et pourtant, les deux banques partagent le même style classique.
En dépit de sa sobriété, l’immeuble de la Banque du Canada a une histoire à raconter et des choses à dire. Ce cube de granite imposant qui dénote force, stabilité, fiabilité, pérennité et un brin d’austérité représente la manière dont l’institution veut être perçue. Son extérieur intègre aussi certaines philosophies économiques. Mais ce désir de donner à la Banque sa propre résidence, symbole de ses valeurs et de son caractère, remonte à sa fondation, en 1935.
La naissance d’un monument
La Banque du Canada a fait ses débuts dans des locaux loués de l’édifice Victoria, un peu l’Est de son adresse actuelle. Ce n’était pas désirable pour une banque centrale d’être reléguée à des locaux anodins. Où était la prestance? Mais les choses allaient changer avec l’achat d’un terrain parfaitement situé : sur la rue Wellington d’Ottawa, à deux pas de la colline du Parlement.
L’architecte Sumner G. Davenport, qui avait signé quelques édifices de la Banque Royale, a été embauché comme consultant. Il a retenu les services du cabinet Marani, Lawson et Morris, qui a proposé plusieurs idées. Bien évidemment, certaines ont été rejetées d’emblée, dont un concept que le sous-gouverneur J. A. C. Osborne a décrit comme « pot de fleurs dans sa cuvette d’arrosage ». Le choix s’est finalement arrêté sur un projet beaucoup mieux accueilli, qui s’agencerait aux édifices néogothiques de la colline du Parlement et au style châteauesque de l’édifice de la Confédération, juste en face, sans les éclipser. Le coût de la construction, terrain compris, s’est élevé à 1,1 million de dollars – une bénédiction pour le secteur de la construction pendant la Grande Dépression. Le chantier a démarré au début du printemps 1937 et s’est achevé en treize mois à peine. En 1939, l’immeuble fraîchement érigé a remporté la médaille d’or de l’Ordre des architectes de l’Ontario.
Les allégories ornementales
Malgré la retenue apparente de l’architecte, l’extérieur de l’immeuble de 1938 propose tout de même des ornementations d’une grande richesse. Entre les pilastres de la façade se trouvent sept figures allégoriques en bronze, chacune apposée contre un carré de marbre bleu-vert. Mais la sobriété est encore au rendez-vous : remarquez comment les sculptures disparaissent presque dans le marbre en arrière-plan. Elles sont l’œuvre de la sculptrice anglo-canadienne Jacobine Jones et l’ont aidée à devenir l’un des plus grands noms de la sculpture architecturale au Canada. Fidèles à la tradition bancaire, les allégories symbolisent les métiers, ressources et industries à la base du commerce et de l’économie.
Cependant, s’il y a un élément qui ne fait pas dans la sobriété, ce sont bien les urnes gigantesques de part et d’autre de la terrasse rue Wellington. Servant typiquement à entreposer des céréales et des huiles, les urnes symbolisent la conservation de la richesse.
L’annexe de 1979 : un heureux mariage d’architectures
Le siège de la Banque du Canada comprend non pas deux, mais bien quatre immeubles. Il faut admettre que ce n’est pas évident, à moins d’avoir une vue aérienne. De la rue, on dirait qu’un seul vaste bâtiment enveloppe l’immeuble de 1938, mais il s’agit en fait de deux tours de verre indépendantes reliées par un spectaculaire atrium de douze étages.
La construction d’une annexe moderne à un immeuble patrimonial emblématique n’est pas chose facile : au début des années 1960, alors que son effectif était en expansion, la Banque a lancé un appel de propositions pour l’agrandissement de ses locaux. L’une d’entre elles consistait à agrandir l’immeuble d’origine sur deux pâtés de maisons, tout en préservant son style. Un plan imposant et, soyons honnêtes, un peu menaçant. Une autre consistait à mettre un toit sur toute la rue de derrière. La Banque a finalement approuvé le concept élégant et ouvert d’Arthur Erickson, architecte canadien de renommée mondiale. Ce n’était pas trop tôt : elle commençait à manquer d’espace. La construction s’est déroulée de 1972 à 1979.
On aurait pu croire que les immenses tours de verre avaleraient le petit cube de pierre qu’était la Banque à l’époque, et que leur modernité détonnerait. Bien au contraire. La nouvelle construction a été appelée l’un des plus heureux mariages entre les styles classique et moderne. Si ça se trouve, l’immeuble original apparaît maintenant plus inébranlable et important qu’avant, les tours tenant lieu de toile de fond élégante et discrète. Il semble trôner au cœur d’une forêt de verre. Ajoutons qu’Erickson cherchait sans cesse à intégrer des éléments de la nature dans ses dessins, et l’atrium, qui enveloppe l’arrière de l’immeuble original dans un jardin intérieur verdoyant, montre à quel point il excellait à ramener la nature en ville.
Renouer avec l’héritage d’Erickson
En 2010, un tremblement de terre de magnitude 5 a révélé des faiblesses dans le complexe. Il faut dire que l’immeuble de pierre avait plus de 70 ans et les tours de verre, plus de 30. C’est ce qui a motivé des rénovations d’envergure, qui ont débuté en 2013. Il fallait bien entendu rendre les immeubles conformes aux normes de résistance sismique, mais ce fut aussi l’occasion d’installer des systèmes de chauffage et de ventilation de pointe, d’écologiser l’éclairage et le réseau électrique, ainsi que de créer des infrastructures de communication modernes. Ces rénovations ont d’ailleurs permis à la Banque d’obtenir la certification Or du programme LEED (Leadership in Energy and Environmental Design). Elles ont également redonné vie à la vision d’Erickson, qui avait conçu des bureaux à aire ouverte baignés de lumière naturelle offrant une vue panoramique sur le quartier historique d’Ottawa. Malheureusement, au fil des ans, corridors et bureaux fermés s’étaient multipliés. Mais l’architecte était en avance sur son temps et le concept qu’il avait imaginé en 1971 était un présage des espaces de travail collaboratifs prisés de nos jours, ce qui a facilité la tâche des ouvriers. Les passants peuvent maintenant constater cet important changement lorsque les derniers rayons de soleil frappent les tours juste au bon angle pour révéler les vastes étages dégagés.
Si vous passez à Ottawa, le complexe de la Banque est un incontournable. Mais pas de presse : il résistera encore longtemps à l’épreuve du temps.
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