La reine Elizabeth II à travers les portraits de la Banque du Canada
Rares sont ceux d’entre nous qui l’ont rencontrée, et plus encore ceux qui pourraient avoir un quelconque lien de parenté avec elle. Pourtant, son portrait se trouve dans le portefeuille de tous les Canadiens. Eh oui, il s’agit bien de la reine Elizabeth II, notre monarque depuis plus de 70 ans.
Un visage familier
J’ai vu la Reine une fois. C’était durant la tournée royale du Canada de 1978. Mes parents m’avaient amené à une intersection dans l’espoir de l’apercevoir, accompagnée du prince Philip, en route vers son hôtel. Dix minutes après notre arrivée, le couple royal est passé devant nous dans une imposante décapotable blanche. Depuis la banquette arrière, la Reine m’avait souri et envoyé la main. Du moins, c’était ce que je croyais. Réflexion faite, elle saluait probablement la foule et j’étais simplement dans son champ de vision.
La plupart d’entre nous n’ont vu la Reine – ou toute autre célébrité d’ailleurs – que dans la lentille des médias. Mais ce qui la distingue des autres grands noms aux yeux des Canadiens, c’est qu’elle nous rappelle son existence le plus souvent sur nos billets de banque. Nous l’avons vu prendre de l’âge avec grâce depuis sa tendre enfance au fil des portraits qui ont orné pas moins de 18 coupures. Mais ce qui rend les billets de banque canadiens uniques, c’est le fait que la reine Elizabeth y a figuré à six stades de sa vie, tout d’abord comme jeune princesse et enfin comme souveraine nonagénaire.
La première série de la Banque du Canada
Le Canada est le seul membre du Commonwealth à compter la jeune princesse Elizabeth parmi les personnalités ayant figuré sur ses billets de banque. Elle avait huit ans lorsqu’elle a posé pour le portrait qui a été utilisé. Avec le recul, on croirait que quelqu’un à la Banque du Canada avait une boule de cristal, car personne n’aurait pu prédire que la fillette allait devenir la première héritière du trône un an plus tard. Il faut dire qu’en 1935, six membres de la famille du roi George V apparaissaient sur un billet de la première série de la Banque.
Le portrait de la jeune Elizabeth a parfois été surnommé le « Shirley Temple », en raison de la chevelure bouclée que partageaient les deux petites filles. La gravure est l’œuvre d’Edwin Gunn de l’American Bank Note Company, et le cliché original est de Marcus Adams, qui était le photographe pour enfants le plus prisé de Londres à cette époque. Il a plus tard photographié le jeune prince Charles et la jeune princesse Anne.
La série Paysages canadiens
Ceci est le premier portrait officiel du règne de la reine Elizabeth ayant figuré sur un billet de banque canadien. Il date toutefois d’un an avant le décès de son père, le roi George VI. Techniquement, il s’agirait en fait d’une image de la princesse Elizabeth, alors âgée de 25 ans. Le cliché original avait été commandé auprès du Canadien Yousuf Karsh pour orner un timbre. En 1952, lorsque la Banque a arrêté son choix sur le même cliché pour sa nouvelle série de billets, elle a demandé à un artiste de le retoucher pour faire disparaître la délicate tiare qui coiffait Elizabeth.
Gravée par George Gundersen de la British American Bank Note Company, la première version de ce portrait a plus tard été surnommée « la face de diable ». En effet, certains prétendaient qu’on pouvait voir le visage du diable dans les cheveux juste au-dessus de l’oreille de la Reine. Après beaucoup de tapage parlementaire et de lettres de monarchistes outrés, le portrait a été discrètement retouché par le graveur Yves Baril. Par la suite, personne n’a plus vu de visages démoniaques dans les boucles de la souveraine. Fait intéressant : la Reine est apparue sur chaque coupure de cette série, ce qui ne s’est pas revu depuis.
La série Scènes du Canada
Comme pour la série de 1954, la Reine devait figurer sur toutes les coupures. Cependant, en 1968, le ministre des Finances a décidé qu’il serait bon de faire un peu de place à d’anciens premiers ministres du Canada. En fin de compte, la Reine n’est restée que sur les billets de 1 $, 2 $ et 20 $.
La photographie originale a été prise en 1963 par Anthony Buckley, connu pour son travail avec des acteurs de la scène et du cinéma. Il était le « photographe de la cour » pour la famille royale britannique dans les années 1960 et jusqu’à la moitié des années 1970. Un jeu de neuf portraits issus de cette même séance de 1963 a été vendu aux enchères en 2020. Il s’est vendu pour 6 500 livres sterling (environ 11 000 dollars canadiens en 2021), dépassant nettement les 5 000 livres attendues!
La Reine a été photographiée avec et sans sa tiare, et comme pour les séries précédentes, c’est la coiffure la plus simple qui a été retenue. Ironiquement, si la Banque trouvait la tiare trop chic, elle estimait que la robe ne l’était pas assez. Sur sa gravure, George Gundersen a donc habillé la souveraine d’une robe semblable à celle qu’elle portait sur son portrait de la série de 1954.
La série Les oiseaux du Canada
Encore une fois, c’est Anthony Buckley qui a signé la photographie ayant servi à la gravure de la série Les oiseaux du Canada. Réalisé au début des années 1980, le portrait a plus tard été gravé par Henry S. Doubtfire de la société d’impression de produits fiduciaires De La Rue. Cette dernière assurait la direction artistique de la série, comme elle l’avait fait pour les précédentes.
Le collier de perles que portait la Reine dans ce portrait est le même que celui que l’on voit sur les billets des séries suivantes, y compris ceux en polymère. Il lui a été donné par son grand-père, le roi George V, lorsqu’elle était enfant.
La série L’épopée canadienne
Cette série est la première ayant été conçue à l’ordinateur. Seule exception : le portrait de la Reine a été réalisé à la main par gravure sur acier, une tradition qui remonte à des centaines d’années. Le directeur artistique de la série, Jorge Peral de la Compagnie canadienne des billets de banque limitée, a basé sa gravure sur une photographie commandée par la Banque. Le photographe, Charles Green, était au service de la famille royale depuis les années 1990.
En 2005, le billet de 20 $ de cette série a été le premier à remporter le titre de billet de banque de l’année octroyé par l’International Bank Note Society. Le portrait de la Reine s’est valu les plus grands éloges, décrit comme étant sans doute le meilleur portrait de la souveraine d’âge mûr à jamais figurer sur un billet de banque. Il paraît que même la Reine s’en serait dite satisfaite.
La série Frontières
Jorge Peral a également assuré la direction artistique de cette série. La conception et les gravures ont presque entièrement été faites par ordinateur, mais l’image de la Reine a encore été gravée selon la tradition par Jorge Peral lui-même. Celui-ci s’est inspiré cette fois d’une photographie signée Ian Jones, photographe de la famille royale et photojournaliste récompensé.
Cette première série de billets canadiens imprimés sur un support en polymère ouvrait la porte à une possibilité intéressante. En septembre 2015, la reine Elizabeth II a délogé son arrière-arrière-grand-mère Victoria comme monarque britannique au règne le plus long. Pour marquer ce nouveau record, la Banque du Canada a émis un billet commémoratif tout en subtilité, plaçant dans la bande transparente du billet une version colorisée du portrait réalisé par Yousuf Karsh pour la série Paysages canadiens. Dans cette image holographique, la tiare n’a pas été effacée, contrairement à ce qui avait été fait pour la gravure.
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