Un graveur au sommet de son art
Des millions de billets de 100 $ de la série Scènes du Canada sont toujours en circulation, mais il est rare de pouvoir tomber sur l’un d’eux. C’est dommage, car la conception de ce billet de banque est remarquable et son imagerie, encore plus exceptionnelle, a été réalisée par un maître graveur.
Le maître
Charles Gordon Yorke compte parmi les plus prolifiques graveurs de billets de banque canadiens. Né en 1917, il a grandi à Shellbrook, un village agricole à l’ouest de Prince Albert, en Saskatchewan. Passionné par l’art depuis tout petit, il se rend à Toronto pour étudier au Collège d’art de l’Ontario au début de la Grande Dépression. Il monte un portfolio impressionnant et la British American Banknote Company l’embauche en 1935. C’est là qu’il sera formé par le maître graveur Harry Preston Dawson, aux côtés d’autres apprentis comme George Gundersen (qui a gravé trois des portraits et une partie de l’une des vignettes de la série Scènes du Canada). C. G. Yorke a fait carrière à la British American Banknote Company où il a gravé un nombre exceptionnel de billets de banque et de nombreux timbres, ainsi qu’un personnage bien connu du public canadien.
Les graveurs contribuent parfois aux projets de leurs pairs, et ils peuvent aussi retoucher des gravures anciennes. Ainsi, parmi les gravures présentées ici, l’image sur le billet de 1 $ de 1967 est une gravure du XIXe siècle qui a été retravaillée par C. G. Yorke. Quant à la vignette du bateau de pêche sur le billet de 5 $ de la série Scènes du Canada, elle a été commencée par George Gundersen, mais terminée par Yorke.
Grâce à son travail sur les billets de banque et les timbres canadiens, Charles Gordon Yorke nous a légué une véritable identité visuelle. Mais sa gravure la plus connue est sans doute celle de Sandy McTire, le joyeux Écossais qu’on trouve sur les coupons Canadian Tire. Représenté pour la première fois en 1961, Sandy fait encore partie de la culture populaire canadienne aujourd’hui. Cependant, les jours de cette icône sont comptés : le programme de coupons a été remplacé par une carte de fidélisation numérique en 2012. L’image de Sandy McTire sera tout de même restée 60 ans dans l’espace public – pour ce type de gravure comportant des éléments de sécurité, c’est vraiment un tour de force.
Le panorama
Les Mi’kmaq l’appelaient Aseedĭk ou E’se’katik : la terre des palourdes. Les Acadiens l’avaient baptisée Mirliguèche, un mot emprunté à la langue Mi’kmaq décrivant les moutons qui se forment sur la crête des vagues dans le port. La ville connue aujourd’hui sous le nom de Lunenburg est le fruit des premiers efforts déployés par la Grande-Bretagne pour établir une colonie protestante en Nouvelle-Écosse. En 1753, les Britanniques avaient recruté 1 400 personnes, surtout d’origine allemande, prêtes à fonder une communauté protestante sur ce territoire auparavant colonisé par des catholiques français. La ville tient son nom du duc de Braunschweig-Lüneburg, qui allait devenir le roi George II d’Angleterre.
Lunenburg a été aménagée selon un plan en damier et le quartier historique de la vieille ville a conservé, en grande partie, sa disposition et son apparence d’origine, y compris de nombreux anciens bâtiments de bois. Même s’il accueille aujourd’hui aussi bien des cafés et des boutiques que des sites industriels, le port a été étonnamment bien préservé. En 1995, le Vieux Lunenburg a été déclaré site du patrimoine mondial par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).
La photographie utilisée
George Hedley Doty était l’un des photographes du Nova Scotia Information Service, un service créé en 1924 pour promouvoir la province. De la fin des années 1930 aux années 1950, il s’est affairé à photographier divers événements et sites touristiques, gouvernementaux ou industriels, de même que des paysages et des infrastructures de la Nouvelle-Écosse. Ses photos ont largement contribué à enrichir les archives historiques.
G. H. Doty et ses collègues ont pris de nombreuses photos de Lunenburg mettant en scène la pêche et la construction navale, des industries traditionnelles à l’époque. Cependant, l’heure était au changement et au moment où G. H. Doty a pris la photo utilisée au verso du billet de 100 $ en 1939, les navires à moteur commençaient déjà à remplacer les goélettes de la flotte de pêche de Lunenburg. De nos jours, la pêche commerciale y est encore pratiquée et on trouve aussi des chantiers navals et une usine de conditionnement du poisson, mais une grande part de l’économie locale repose sur le tourisme.
La goélette
Les voiliers qu’on aperçoit au verso du billet de 100 $ sont le Lilla B. Boutilier, le E. P. Thériault et le Theresa O’Connor (de gauche à droite). Le premier et le troisième ressemblent à des goélettes des Grands bancs traditionnelles. Des centaines de ces petits navires élégants et très rapides étaient utilisés pour pêcher sur les bancs au large de la Nouvelle-Écosse dès le milieu du XIXe siècle. La plus renommée des goélette des Grands bancs est certainement le Bluenose. Construit à Lunenburg même, le Bluenose a été conçu pour la régate, plus précisément pour défier les goélettes américaines lors des courses de l’International Fisherman’s Trophy. Le Bluenose n’a perdu qu’une seule course durant sa carrière et il a aussi détenu le record de la plus grosse prise de poissons jamais vue à Lunenburg.
Quand G. H. Doty prend ses photos de la ville de Lunenburg, les goélettes de pêche se font déjà de plus en plus rares. Au moment où le billet de banque a été émis, seulement quelques-unes d’entre elles naviguaient encore au large de la côte atlantique et dans les Caraïbes, principalement à titre de cargo ou de navire d’excursion. Emblématiques d’un mode de vie révolu, ces goélettes sont toujours une grande source de fierté pour les Néo-Écossais – au point où, depuis 1937, l’une d’entre elles est mise à l’honneur sur notre pièce de 10 cents.
La vignette
Comme chaque billet émis par la Banque du Canada, la coupure de 100 $ de la série Scènes du Canada a fait l’objet de nombreuses modifications, légères ou plus importantes, d’une version à l’autre. On trouve deux versions de cette coupure parmi les épreuves, les modèles de billets et les plaques d’impression de notre collection. Dans une version initiale, moins élégante, la goélette de droite n’était pas représentée dans la vue du port.
La goélette des Grands bancs n’était plus utilisée pour la pêche depuis belle lurette quand C. G. Yorke a entamé sa gravure pour le billet de 100 $ de la série Scènes du Canada. Malgré cela, l’admiration qu’inspirent ces voiliers et leurs équipages perdure, comme c’était le cas bien avant l’âge d’or du Bluenose. Quant à la ville de Lunenburg, elle est aussi populaire et romantique que les goélettes qui ont contribué à la rendre célèbre. Le fait de figurer sur un billet de 100 $ n’a sûrement pas fait de tort à sa réputation non plus.
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