ou comment le colonel Baden Powell a fait de son mieux
Le colonel Robert Stephenson Smyth Baden‑Powell, officier de l’armée britannique, commande les troupes stationnées à Mafeking, une ville sud-africaine (maintenant appelée Mahikeng), pendant la seconde guerre des Boers (qu’on appelle également la guerre d’Afrique du Sud). D’octobre 1899 à mai 1900, la ville est assiégée par des combattants boers, des Sud-Africains d’origine néerlandaise. Le siège dure 217 jours. Soldats, hommes, femmes et enfants doivent composer avec le rationnement des vivres et les nouveaux périls qui les guettent. Dès la promulgation de la loi martiale, les quelque 5 500 civils de Mafeking sont tenus de suivre un horaire quasi militaire strict. Personne n’y échappe, pas même les enfants. Les garçons ont pour tâche de transmettre les messages entre les officiers partout dans la ville. Les conditions sont très difficiles et Mafeking subit des bombardements tous les jours sauf le dimanche, car les Boers observent scrupuleusement le sabbat.
Comme toute ville assiégée, Mafeking voit ses réserves – et ses liquidités – s’amenuiser rapidement. Pendant un siège, la tendance est de garder précieusement son argent (une pratique appelée « thésaurisation »). Ainsi, comme il n’y a que très peu de monnaie en circulation, le colonel Baden‑Powell n’a pas d’autre choix que d’émettre des billets de nécessité dès la nouvelle année. Les billets ont même cours légal : l’officier payeur du bataillon de Mafeking, le capitaine H. Greener, signe des chèques totalisant 5 228 livres sterling à l’ordre de la Standard Bank of South Africa pour en garantir la valeur. Une fois la loi martiale levée, la monnaie obsidionale pourrait être encaissée auprès de la Standard Bank, qui disposerait déjà des fonds nécessaires.
L’imprimeur Townsend & Son tire cinq coupures dans un lieu souterrain qu’on surnomme la « Mafeking Mint », soit la « Monnaie de Mafeking ». Les billets de un, de deux et de trois shillings prennent la forme de coupons à échanger dans les cantines contre des rations de pain à l’avoine rudimentaire et de viande de cheval.
Le colonel Baden‑Powell cultive un intérêt particulier pour les billets de dix shillings et de une livre. Il dessine l’illustration du billet de une livre sur un maillet de croquet et en confie la gravure à un artisan. Insatisfait du résultat, le colonel Baden-Powell utilise tout de même cette matrice pour les billets de dix shillings, mais crée une illustration beaucoup plus détaillée (et dénotant un talent artistique impressionnant) pour les billets de une livre, quant à eux réalisés par reproduction photographique.
Les billets circulent sans problème pendant tout le siège. Mais par la suite, les événements prennent un virage surprenant : presque personne ne les encaisse. Edward Ross, l’encanteur de Mafeking, voit juste : « Je suis persuadé qu’étant donné leur singularité, ces billets vaudront bien plus que leur valeur nominale après le siège. » Au total, des billets équivalant à 638 £ à peine sont encaissés, laissant un solde impressionnant de 4 590 £ dans les coffres de la Standard Bank, ce qui équivaut aujourd’hui à près de 800 000 dollars. Cet imprévu onéreux hante le colonel jusqu’à ce que la question soit soulevée à la Chambre des communes. Ce n’est qu’en 1910 que la Standard Bank rembourse l’officier payeur.
Les tactiques ingénieuses du colonel Baden‑Powell pour tenir l’ennemi à distance pendant le siège lui valent des éloges et la réputation d’un homme respectable et débrouillard en toutes situations. Grâce à son commandement, le siège n’avait fait qu’un nombre modeste de morts et de blessés à l’arrivée des soldats britanniques à Mafeking, au printemps de 1900, pour pousser les Boers à battre en retraite. De retour au bercail, le colonel Baden-Powell devient un héros national, et ses exploits sont romancés par une presse en adoration. Ce n’est que plus tard qu’on remet en question sa décision de tenir le siège aussi longtemps, voire de tenir le siège dès le départ. Les autorités militaires de l’époque s’offusquent qu’il n’ait fait aucune tentative pour libérer Mafeking. Si ses qualités de leader brillant et inspiré sont indéniables, le colonel ne semble pas très doué pour l’offensive. D’ailleurs, dans les années qui suivent, il laisse de nouveau son bataillon se faire assiéger, après quoi l’armée met discrètement un terme à son service actif.
En Afrique, le colonel Baden‑Powell écrit un manuel d’instruction sur la reconnaissance militaire et l’éclairage, intitulé Aids to Scouting, qui récolte un succès retentissant en Grande‑Bretagne. En 1908, il publie un livre similaire, Scouting for Boys (Éclaireurs, en français), que l’on croit inspiré du rôle des jeunes garçons pendant le siège de Mafeking. En Angleterre, il organise de grandes aventures en plein air pour voir si les pratiques militaires d’éclairage et de travail du bois peuvent contribuer à l’éducation des jeunes. C’est ainsi que les Boy Scouts voient le jour. Le volet féminin du mouvement, les Girl Scouts, est mis sur pied peu de temps après par le colonel, sa femme et sa sœur. Scouting for Boys se vend à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde, toutes éditions confondues. Les théories à la base du scoutisme voulant que l’on « forme de bons citoyens en leur apprenant à vivre en plein air » se répandent aux quatre coins du globe. Et la légende de Baden‑Powell est née.
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