Un jeton de métro empêche la modification du « sou noir » canadien
En 1977, devant la hausse du prix du cuivre, la Monnaie royale canadienne a voulu réduire la taille de la pièce de 1 cent. Elle était loin de se douter que la Toronto Transit Commission viendrait contrecarrer ses plans…
Les jetons de mon enfance
Toronto, fin des années 1980 : j’étais au secondaire, et de temps en temps, mes amis et moi séchions les cours de l’après-midi pour aller voir jouer les Blue Jays, flâner au Centre Eaton ou ennuyer les vendeurs au Kensington Market! Notre mode de transport? La Toronto Transit Commission (TTC). (À noter, bien sûr, que je ne suis plus partisan de l’école buissonnière!)
À l’époque, un trajet en métro coûtait environ 80 cents. Les jetons de la TTC, faits d’aluminium, étaient plus petits qu’une pièce de 10 cents et faciles à perdre. Quand ma mère faisait le lavage, elle en trouvait parfois dans le filtre de la sécheuse. Comme je ne prenais pas le métro pour aller à l’école, j’étais pris en flagrant délit : elle savait que j’avais séché mes cours! Mes jetons, je les gardais précieusement : j’avais dû ramasser mon argent pour les acheter, et je ne voulais surtout pas que mes parents découvrent mes activités secrètes!
Cela dit, ce billet ne porte pas sur les joies de manquer l’école pour partir explorer la grande ville. Il parle plutôt des jetons que j’utilisais pour prendre le métro, et plus précisément du moment où, en 1978, ces petits jetons ont obligé la Monnaie royale canadienne à revenir sur son projet d’émettre une nouvelle pièce canadienne de 1 cent, de taille réduite.
Le coût d’une pièce de 1 cent
Après la Seconde Guerre mondiale et le boom économique d’après-guerre, on enregistre une hausse de la demande de pièces de monnaie canadiennes. À partir du milieu des années 1950, la production de pièces de 1 cent passe de dizaines de millions à des centaines de millions. En 1976 seulement, la Monnaie royale canadienne produira près de 700 millions de pièces de 1 cent en cuivre pur.
Il n’y a pas que la demande de pièces qui augmente : le prix du cuivre aussi. Au cours des années 1970, le prix du cuivre passe de 0,60 $ en moyenne à 1,36 $ la tonne, sommet atteint en 1980. En 1977, le président de la Monnaie royale canadienne, Yvon Gariépy, indique que la fabrication de la pièce de 1 cent coûte deux fois sa valeur. Il faut faire quelque chose pour diminuer les coûts. La solution : réduire la taille de la pièce.
Une nouvelle loi et une pièce de 1 cent plus petite
En 1977, la Monnaie royale canadienne propose au ministre des Finances de réduire la taille de la pièce de 1 cent, qui passera de 19 à 16 mm. Il faut alors modifier la Loi sur la monnaie, qui régit la conception et la production de la monnaie.
En plus de réduire la taille de la pièce, on compte remplacer les deux feuilles d’érable emblématiques qui y figurent depuis 1937, œuvre de George Kruger Gray. Le nouveau motif cadre avec le style simple et moderne des pièces de monnaie que produit à l’époque la Monnaie royale canadienne pour d’autres pays. À l’été 1977, les matrices de la nouvelle pièce sont prêtes, et la frappe commence.
Un sou pour prendre le métro?
Dans les mois qui suivent, la TTC a vent du projet de nouvelle pièce de 1 cent. La pièce proposée est à peu près de la même taille que ses jetons (16 mm), ce qui l’inquiète. Et si les gens réussissaient à passer les tourniquets automatiques du métro avec une pièce de 1 cent au lieu d’un jeton? Devant les pressions exercées par la TTC et d’autres entreprises utilisant le même genre de jeton, la Monnaie royale canadienne doit mettre fin à son projet d’émission d’une nouvelle pièce de 1 cent le 1er janvier 1978.
Retour à la case départ
La Monnaie royale canadienne continue alors à frapper des pièces de 1 cent en cuivre pur, à perte. Elle doit produire près d’un milliard de pièces pour compenser la production manquante de l’année précédente. En 1980, elle trouve une solution économique pour conserver à la pièce de 1 cent sa taille de 19 mm : réduire son épaisseur.
Comme le prix du cuivre continue d’augmenter, la Monnaie royale canadienne commence à produire des pièces plaquées en l’an 2000. La nouvelle pièce de 1 cent est faite d’acier ou de zinc, puis plaquée d’une fine couche de cuivre pour lui donner l’apparence d’une pièce en cuivre traditionnelle. Il reste que malgré tout, chaque pièce coûte plus cher à fabriquer que ce qu’elle vaut. C’est ainsi que le « sou noir » arrive à la fin de sa vie utile. En 2012, le retrait de la pièce de 1 cent est officialisé lors d’une cérémonie tenue dans les installations de la Monnaie royale canadienne à Winnipeg. C’est le ministre des Finances de l’époque, Jim Flaherty, qui frappera la dernière pièce canadienne de 1 cent, maintenant exposée au Musée de la Banque du Canada.
Les jetons de la TTC existent depuis 1954, année où Toronto a inauguré sa première ligne de métro. Ironiquement, ils ont survécu à la pièce de 1 cent. Cependant, en raison de l’évolution des technologies de paiement ainsi que des coûts accrus des matières premières et de la production, la TTC a décidé d’éliminer ses jetons, ses billets d’autobus et ses cartes d’abonnement d’ici la fin de l’année, au profit de la carte PRESTO de Metrolinx. Je me demande si les usagers seront tristes de voir leurs petits jetons disparaître après 65 années d’existence.
Références
- James Bow (2017), A History of Fares on the TTC (consulté le 8 février 2019)
https://transit.toronto.on.ca/spare/0021.shtml - The Globe and Mail, 24 décembre 1977
- Mactrotrends.ca (2019), Copper Prices—45-Year Historical Chart (consulté le 8 février 2019)
https://www.macrotrends.net/1476/copper-prices-historical-chart-data
M. Drake (2018), A Charlton Standard Catalogue of Canadian Coins: Volume One, Numismatic Issues, 71e édition, Toronto, Charlton Press
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