Les premiers billets bilingues de la Banque
Dans les cent premières années du système bancaire canadien, si les billets de banque bilingues étaient rares, les billets tout en français l’étaient encore plus.
Un brin de contexte
La Loi sur les langues officielles du Canada est entrée en vigueur il y a 50 ans, le 7 septembre 1969. Son objectif :
« assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, […] notamment en ce qui touche […] les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs [des] institutions [fédérales]. »
(Loi sur les langues officielles)
La Loi se voulait simple et rationnelle. Elle énonçait des principes que de nombreuses institutions suivaient déjà depuis longtemps pour les services publics, les documents officiels, la signalisation routière et, vous l’avez sans doute deviné, les billets de banque.
Le rarissime billet de banque bilingue
C’est en 1817 que les premiers billets de banque canadiens ont été émis et, pendant 120 ans, la grande majorité ne venait qu’en une seule variété : à l’anglaise. Le secteur bancaire de l’époque étant dominé par les anglophones, et ce, même au Bas-Canada (aujourd’hui le Québec), les billets de banque en français ou bilingues étaient très rares. Encore là, le jargon et les termes du domaine étaient habituellement inscrits en anglais, peu importe le lieu d’émission des billets.
Une union qui divise
Au 19e siècle, des dizaines de banques à charte avaient pignon sur rue au Canada, chacune s’occupant d’une région très restreinte, sauf quelques exceptions. Elles imprimaient donc leurs billets dans la langue – et dans la monnaie – qui convenait le mieux à leur clientèle. L’anglais l’emportait presque toujours. En 1840, l’Acte d’Union a unifié le Haut-Canada et le Bas-Canada (aujourd’hui l’Ontario et le Québec) pour former la Province du Canada, qui a mis en circulation sa propre monnaie en 1866. Au grand désarroi de la moitié francophone du territoire, tous les billets avaient été imprimés en anglais... et ont continué de l’être près de 70 ans après la Confédération.
1935 : deux billets, deux solitudes
La première série de billets de la Banque du Canada a été conçue non pas par elle-même, mais par le gouvernement fédéral. La raison était simple : la mise en circulation allait coïncider avec l’inauguration de la Banque, le 11 mars 1935. En avance sur leur temps – et sur la Loi sur les langues officielles –, la Banque et le gouvernement du premier ministre R. B. Bennett ont émis des billets en anglais et en français. Choix surprenant : ils ont créé une version pour chacune des deux langues.
Comme vous vous y attendez sûrement, la plupart des billets en français étaient émis par l’agence montréalaise de la Banque. Selon le Charlton Standard Catalogue, une infime proportion était tout de même distribuée dans les autres communautés francophones du pays. C’est là que les choses se compliquent.
Par sa nature, la monnaie circule librement, comme un cours d’eau. Il fallut donc peu de temps pour que les billets conçus spécialement pour les Canadiens français se retrouvent dans le porte-monnaie de Canadiens anglais, et vice-versa. Dans une lettre à des collègues britanniques, John Osborne, alors sous-gouverneur de la Banque du Canada, a écrit :
« la population anglophone [est] portée à mutiler les coupures de langue française et [...] la population francophone se [plaint] de ne pas avoir accès à un plus grand nombre de billets français ».
On ne verrait pas ça ailleurs qu’au Canada! Heureusement, un compromis plein de bon sens allait apaiser les deux camps sous la forme d’une modification de la Loi sur la Banque du Canada. Qui aurait pu croire que douze mots tout simples allaient changer nos billets de banque pour toujours?
1937 : un billet, deux solitudes
Les billets de la Banque sont imprimés en français et en anglais.
Article 25 de la Loi sur la Banque du Canada
Ces douze mots ont provoqué bien des débats au Parlement avant d’être applaudis par une majorité. L’occasion d’imprimer des billets bilingues s’est présentée à la mort du roi George V, en janvier 1936. Comme la Banque devait déjà préparer la gravure du portrait du nouveau souverain, Édouard VIII, pour la prochaine série de billets, elle en a profité pour moderniser toutes les coupures, qui recevraient le traitement bilingue. Lorsque Édouard a abdiqué le trône plus tard cette année-là, la nouvelle série n’était encore qu’au stade de prototype. La Banque l’a échappé belle!
Un (quasi) nouveau billet
« Répare la gaffe de Bennett et Cie », lisait-on dans La Nation, un journal de Québec.
« Le bilinguisme est déchaîné », rétorquait le Toronto Telegram.
Il est vrai que les billets de 1937 avaient innové en prenant la voie du bilinguisme des décennies avant les communications et les services gouvernementaux. Mais ils n’avaient pas beaucoup changé par rapport à la série de 1935. En effet, on y retrouvait les mêmes traits d’inspiration victorienne et la plupart des mêmes allégories au verso.Certains changements étaient cependant immanquables. Afin de bien délimiter le français et l’anglais, les concepteurs ont déplacé les portraits au centre des billets, ce qui avait aussi l’avantage de garder l’effigie du roi à l’abri des doigts tachés d’encre des commis qui comptaient les billets à la banque. Ils ont aussi uniformisé les illustrations au verso des billets et joué avec les couleurs, soit en les ajustant ou en les interchangeant. Exception faite de la teinte orange vif du billet de 50 dollars, les couleurs des billets utilisés aujourd’hui ont été cimentées par la série de 1937. Cependant, ces nouveaux coloris allaient poser un petit problème.
Juste avant l’émission de la série de 1937, la Banque avait encore de grandes quantités de billets de la série précédente dans ses coffres. Elle a donc décidé de continuer de les mettre normalement en circulation jusqu’à qu’elle soit contrainte – par nécessité ou par ordre – de les remplacer par les nouveaux billets.
Hélas! Compte tenu des couleurs remaniées, le billet de 5 dollars de 1937 passait facilement pour le billet de 2 dollars de 1935. Pendant la Grande Dépression, trois dollars était une belle somme que peu de gens pouvaient se permettre de perdre. C’est ce qui a mené la Banque à détruire les vieux billets de 2 dollars qui lui restaient et à retirer les autres de la circulation.
En 1938, la Banque avait commencé à éliminer la plupart des billets de 1935, bien à l’avance sur son plan initial. Les billets de 1 000 dollars de la série de 1937 ont accumulé la poussière dans les coffres jusqu’à ce que vienne le temps de remplacer les billets de 1935, en janvier 1952. À peine deux ans plus tard, à l’introduction de la série de 1954, ils ont à leur tour dû céder leur place.
À ce moment-là, les billets bilingues étaient devenus la norme et même un symbole culturel national. Chaque billet émis par la suite, y compris le nouveau billet de 10 dollars mettant à l’honneur Viola Desmond, a enrichi l’histoire du Canada dans les deux langues officielles. Et cette histoire est loin d’être terminée.
Lectures et renseignements complémentaires
- Banque du Canada (2006). L’œuvre artistique dans les billets de banque canadiens, Ottawa.
- Nankivell, N. (2010). Tout compte fait : la Banque du Canada vue de l’extérieur, Ottawa, Banque du Canada.
- Musée de la Banque du Canada. Les séries de billets de banque au grand complet.
Le Blogue du Musée
À la mémoire d’Alex Colville (1920-2013)
Par : Raewyn Passmore
Le personnel du Musée de la monnaie a été attristé d’apprendre le décès de l’artiste Alex Colville, le 16 juillet à son domicile de Wolfville, en Nouvelle-Écosse, à l’âge de 92 ans. M. Colville est l’un des peintres les plus célèbres au Canada, mais ses sculptures, elles, sont moins connues.
Au revoir, cher Musée!
Par : Graham Iddon
Les origines du Musée de la monnaie remontent à 1959, année où le gouverneur James Coyne a proposé d’instaurer une collection de monnaies reflétant l’histoire colorée des moyens de paiement au Canada. C’est en 1963 que le feu vert a été donné par le successeur de M. Coyne, Louis Rasminsky. Entre-temps, on avait élargi le mandat de la collection pour y inclure l’histoire mondiale de la monnaie, des artéfacts liés à sa fabrication ainsi qu’au domaine bancaire, de même qu’une bibliothèque consacrée à la numismatique.