Une retraite bien méritée
Retirer le cours légal d’un billet, qu’est-ce que ça signifie?
Une pièce de monnaie ou un billet a « cours légal » si le gouvernement a déclaré qu’il peut être utilisé pour faire tous types de paiements et d’achats. Alors, que se passe-t-il quand le cours légal est retiré?
Vieux, mais pas désuets
Un homme entre dans un bar et commande une bière. La serveuse lui verse un verre et lui dit : « Six dollars, s’il vous plaît. » L’homme lui remet alors un billet passablement usé, un billet canadien de 25 $ datant de 1935 pour être plus précis. La serveuse pourrait simplement le mettre dans sa caisse et redonner 19 $ au client, parce que les billets émis par la Banque du Canada restent normalement en vigueur pendant toute leur durée de vie. Peu importe leur âge, ces billets continuent d’avoir « cours légal ». Cependant, à moins que la serveuse connaisse bien les politiques canadiennes sur la monnaie et l’histoire numismatique, elle refusera probablement le paiement du client (ou le présentera au videur, selon le style du bar). Toutefois, à partir de 2021, elle aura tout à fait le droit de refuser ce billet.
Le cours légal : survol historique
La mention « CE BILLET A COURS LÉGAL » figure au recto de tous les billets de la Banque du Canada depuis la mise en circulation de la série Scènes du Canada, en 1969. Avant cela, c’est l’inscription « PAIERA AU PORTEUR SUR DEMANDE » qui apparaissait sur les billets émis par l’État canadien. Ces mentions légales témoignent de deux différences fondamentales quant au fonctionnement de la monnaie papier.
Jusqu’à la Grande Dépression, le Canada était sous le régime de l’étalon-or. Ainsi, chaque dollar canadien représentait, en théorie, une quantité équivalente d’or conservée dans une chambre forte du gouvernement. Vous pouviez donc remettre un billet de 10 $ au comptoir d’une banque et demander 10 $ en pièces d’or en échange. Ce principe qui consiste à entreposer l’or et à en échanger la propriété au moyen de billets a été utilisé pour des raisons de commodité pendant des siècles.
Parmi les tout premiers exemples de papier-monnaie européen, on trouve des bordereaux de dépôt rédigés par des orfèvres anglais. À l’époque, en plus de fabriquer votre bague de mariage, l’orfèvre pouvait conserver votre or dans ses chambres fortes. Lorsque vous vouliez échanger cet or contre un bien, il était plus facile de remettre le bordereau de dépôt de l’orfèvre que de déplacer de lourdes pièces d’or. Des orfèvres astucieux ont alors commencé à émettre des billets représentant une partie de l’or de leurs clients. Ces billets circulaient comme une monnaie pendant que l’or restait à l’abri dans les chambres fortes, un système pratique et commode.
La mention concernant le cours légal a commencé à figurer sur les billets de banque lorsque les pays ont abandonné l’étalon-or durant des périodes de grande précarité économique, comme les guerres. Jusqu’à la fin du 19e siècle, quand on parlait d’argent, on faisait référence aux pièces d’or et d’argent. Un billet de banque, c’était essentiellement un reçu représentant des pièces de monnaie entreposées. Il a donc été difficile de convaincre les gens que les billets à cours légal constituaient une monnaie fonctionnelle. Cependant, ce type de monnaie est maintenant la norme. On la qualifie de « fiduciaire » parce qu’elle n’est pas garantie par une marchandise, comme de l’or ou de l’argent, mais plutôt par le gouvernement qui l’émet. Étonnamment, la mention « Ce billet a cours légal » n’est apparue sur les billets canadiens qu’à la fin des années 1960, soit des décennies après l’abandon de l’étalon-or.
Alors, pourquoi supprimer le cours légal?
Le Canada supprime le cours légal de certains billets parce que la Banque veut veiller à ce que la monnaie en circulation soit sûre. Un vieux billet qui continue de circuler et d’être accepté comme mode de paiement est une cible idéale pour les faussaires, une cible beaucoup plus facile que les nouveaux billets en polymère dotés d’éléments de sécurité d’avant-garde. De plus, les détaillants pourraient ne pas reconnaître les anciens billets et les machines ne les accepteront certainement pas. La Banque tient seulement à faire en sorte que la monnaie en circulation soit aussi sûre et fonctionnelle que possible.
Le Canada est d’ailleurs loin d’être le seul pays à retirer le cours légal de ses vieux billets; plus de vingt banques centrales ont le droit de le faire. La Banque d’Angleterre supprime régulièrement le cours légal d’anciennes coupures lorsqu’elle émet de nouveaux billets afin que la monnaie en circulation demeure sûre. Les pays de l’Union européenne ont retiré le cours légal de leurs monnaies nationales quand ils ont adopté l’euro.
Vous en avez toujours pour votre argent
Les coupures qui n’auront plus cours légal ne sont plus en circulation depuis longtemps déjà, il s’agit des billets de 1 $, 2 $, 25 $, 500 $ et 1 000 $. La plupart d’entre nous n’avons jamais vu ces billets et vous ne risquez pas de les trouver dans la monnaie qu’on vous remet au café du coin. Toutefois, si vous tombez sur ces billets, ne vous inquiétez pas, ils n’ont pas perdu leur valeur nominale (le chiffre indiqué dessus). Il vous suffit de les apporter à votre institution financière pour les échanger contre de nouveaux billets ou les déposer dans votre compte. Vous pouvez aussi les envoyer à la Banque du Canada pour obtenir un remboursement.
Ne vous fiez pas seulement aux apparences
Selon les statistiques, il y a encore des millions de vieux billets que la Banque a été incapable de retirer de la circulation. Ces coupures représentent de l’argent et la Banque en est toujours responsable. Beaucoup de ces billets font partie de collections et le reste a probablement été perdu ou détruit, surtout les petites coupures. Il arrive toutefois que ces billets reviennent en circulation. S’ils ne sont pas trop endommagés ou usés, certains d’entre eux valent plus que leur valeur nominale aux yeux des collectionneurs. Et le billet commémoratif de 25 $, alors? Eh bien, disons que notre client assoiffé pourrait payer une tournée à tout le bar avec ce billet.
Vous êtes déjà tombé sur un de ces billets? Avant d’aller l’encaisser à sa valeur nominale, vous devriez peut-être consulter un marchand de monnaie ou un livre de cotation. On ne sait jamais… De toute façon, vous n’avez rien à perdre!