La difficile naissance du billet de 50 $ de 1975
La création d’un billet de banque est une démarche qui peut faire intervenir plus d’une dizaine de spécialistes à chacune de ses étapes. Et chaque fois, des changements importants peuvent être apportés. Mais dans le cas du billet de 50 $ de la série Scènes du Canada, ces changements ont été particulièrement substantiels.
Parfois, c’est la couleur qui dicte le choix de l’image
Peu de scènes pourraient être plus typiquement canadiennes que celle d’un chalet enneigé situé sur les rives rocailleuses d’un lac nordique gelé. C’est là l’image destinée à l’origine à orner le verso de la coupure de 50 $ de 1975. Pour une série de billets de banque ayant comme thème « les paysages et l’activité humaine », elle semble tout indiquée. Mais il y a un hic.
Le hic, c’est la couleur. La couleur thématique traditionnelle des billets canadiens de 50 $ est un orange vif. Malheureusement, celui-ci ne rend justice qu’à très peu d’images. En effet, les gravures ont tendance à perdre de leur contraste et de leur profondeur. Avec ses nombreuses nuances subtiles, la scène du lac gelé se prête mal à une reproduction dans cette couleur, et elle sera donc remplacée par une autre photo.
Parfois, c’est l’image qui dicte le choix de la couleur
Curieusement, le nouveau choix ne se portera pas du tout sur un paysage, mais sur une scène représentant une troupe de ballet en spectacle. C’est une image élégante, et la gravure qu’en réalise George Gundersen est un superbe exemple de l’art du graveur. Ironie du sort, c’est à peu près au moment où l’on choisit une image mieux adaptée au thème orange que l’équipe de conception décide d’abandonner cette couleur. C’est que l’encre a plus d’un défaut.
La gamme restreinte de tons qui limite considérablement le choix d’images rend aussi les faux billets plus difficiles à détecter. Mais en fin de compte, ce qui signera l’arrêt de mort du billet orange se trouve dans l’encre elle-même : des métaux lourds nocifs. L’équipe opte donc pour le gris ardoise, une couleur verdâtre foncée.
Les encres foncées dans les palettes de gris et de vert conviennent très bien aux gravures. Le contraste net fait ressortir toute la finesse des détails, ce qui vient grandement compliquer la tâche des faussaires. Mais le graveur George Gundersen est insatisfait du choix d’encre. Malgré la reproduction riche de détails, il estime que le gris ardoise rend l’image terne. Pour bien mettre en valeur la « vignette » des ballerines, Gundersen recommande plutôt une teinte dans la gamme du violet au rouge : entre ce qu’il appelle le rose orchidée et le bordeaux. Le gris est mis de côté, et c’est ainsi que naît le billet de 50 $ rouge. Or, voilà que l’on décide, encore une fois, de changer d’image!
Puis les circonstances viennent tout changer
La conception de la coupure de 50 $ coïncide à l’époque avec le centenaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Un conseiller scientifique du département de la Monnaie émet alors l’idée de rendre hommage à la GRC sur le billet à l’occasion de ces festivités. La proposition est acceptée. On sélectionne donc une troisième image : une photo du Carrousel de la GRC exécutant la figure du « dôme ». Mais le long périple de ce billet est loin d’être terminé.
Comme tous les billets précédents de la Banque du Canada, celui de 50 $ devait comporter une grande gravure au verso. Ce qu’on appelle « gravure » est en fait un procédé d’impression nommé « taille-douce ». Cette technique consiste à tailler (graver) une image sur une plaque d’acier et à la recouvrir d’encre, que l’on transfère ensuite sur du papier en exerçant une très forte pression. On obtient ainsi une épreuve monochrome pleine de détails exquis, sur une surface légèrement en relief. Le graveur chargé de réaliser l’image de la GRC est un employé talentueux de la Compagnie canadienne des billets de banque comptant vingt ans d’expérience, Yves Baril. Mais celui-ci a un projet ambitieux en tête.
L’étonnante proposition de M. Baril
Le projet de M. Baril exige le plus grand des savoir-faire en gravure et se voit couronné de succès. Mais malgré les magnifiques résultats obtenus, cette technique est jugée trop complexe et coûteuse pour être pratique, et un dernier changement majeur est alors apporté au billet : on propose un autre procédé d’impression.
Un graveur adopte la lithographie
M. Baril suggère d’employer la même méthode de superposition que dans son expérience de gravure en relief, mais en se servant cette fois-ci de plaques lithographiques. La lithographie moderne fait appel à un procédé photographique pour créer plusieurs plaques, dont chacune sert à l’impression d’une seule couleur. Cette technique est moins laborieuse, puisque les différentes plaques n’ont pas à être gravées. M. Baril produit cinq plaques lithographiques portant chacune l’une des couleurs fondamentales de l’image. Les différentes images sont ensuite superposées, comme dans l’expérience précédente. La vignette qui en résulte ne ressemble à rien de ce que l’on a pu voir jusque-là sur la monnaie canadienne. Richement colorée, elle est l’élément distinctif de ce qui deviendra l’un des billets de banque les plus populaires du Canada.
Un tournant dans l’histoire des billets de banque
Le billet de 50 dollars émis en 1975 marque la fin de la traditionnelle vignette gravée : on aura recours à la lithographie pour la plupart des images ornant les billets de toutes les séries qui suivront. Yves Baril a ainsi jeté un pont entre l’ancienne école d’impression des billets de banque au pays et l’avenir. Pour la série Les oiseaux du Canada de 1986, les vignettes figurant au verso des billets seront réalisées entièrement par lithographie. M. Baril préparera trois des images d’oiseaux au moyen de ce procédé, et gravera à la main les portraits de sir Wilfrid Laurier et de sir Robert Borden. Il prendra sa retraite en 1996, tout juste avant que ne débute la planification de la série L’épopée canadienne.
L’impression en taille-douce a peut-être été reléguée au second rang, derrière la lithographie, mais elle n’est jamais disparue. Encore utilisée pour les portraits et d’autres détails des billets de banque, l’impression en relief est un outil précieux pour la Banque dans sa lutte contre les faussaires. Et elle demeure un splendide élément visuel.
Le Blogue du Musée
Ce qui monte…
Par : Graham Iddon
Les bulles économiques se sont régulièrement formées au cours de l’histoire, et elles continuent de se créer encore aujourd’hui.
Coller les pots cassés
Par : Stephanie Shank
Dans le domaine de la restauration, il est possible de reconstituer les objets métalliques cassés à l’aide d’une substance adhésive plus couramment utilisée pour réparer le verre et la céramique.
La restauration de la presse en taille-douce dite « araignée »
Par : Stephanie Shank
Largement répandu au XIXe siècle, ce type de presse manuelle était utilisé pour imprimer des documents financiers sécurisés au moyen de la taille-douce.
Pourquoi « $ » = dollar?
Par : Graham Iddon
Comment un « S » traversé d’une barre ou deux est-il devenu le symbole du dollar? Le savez-vous? Non? Ne vous en faites pas, nous sommes dans le même bateau.
Les jetons de la TTC et la nouvelle pièce de 1 cent de 1978
Par : David Bergeron
En 1977, devant la hausse du prix du cuivre, la Monnaie royale canadienne a voulu réduire la taille de la pièce de 1 cent. Elle était loin de se douter que la Toronto Transit Commission viendrait contrecarrer ses plans…
Les billets verticaux qui ont failli voir le jour
Par : Graham Iddon
Les équipes de conception de la société d’impression de produits fiduciaires ont présenté en retour à la Banque un résultat des plus surprenants : des billets verticaux.