Un million de dollars en faux billets : scandale à Toronto
En 1880, Edwin Johnson est reconnu coupable d’avoir mis en circulation plus de un million de dollars en faux billets. Considéré comme le plus grand faux-monnayeur de son époque, il est arrêté par le tout premier détective de police à temps plein de l’Ontario, John Wilson Murray. Murray a inspiré le détective fictif William Murdoch, protagoniste de la populaire série télé Les Enquêtes de Murdoch.
Mémoires d’un détective extraordinaire
Dans son autobiographie publiée en 1904, Memoirs of a Great Detective, John Wilson Murray fait le récit sensationnel de la façon dont il a mis la main sur le tristement célèbre graveur à l’origine d’un grand nombre de faux billets ayant circulé en Ontario.
Suspect recherché
L’enquête de Murray le mène à New York, Philadelphie, Washington, Chicago, Indianapolis, Cincinnati, Hartford, Buffalo, Detroit et, enfin, Toronto. Pendant sa recherche d’un suspect, Murray établit des contacts avec le Service secret des États-Unis et le Trésor américain, et même avec des faussaires et d’anciens faussaires.
Le 14 juin 1880, après des mois de recherches, Murray identifie son suspect : Edwin Johnson. Il se lance à ses trousses, accumulant des preuves.
Lorsqu’il écume les bars, Johnson paie d’abord avec de vrais billets, mais à mesure que la soirée avance, il commence à utiliser ses propres faux billets. Il est finalement pris en flagrant délit à Markham, en Ontario, juste au nord de Toronto.
La famille Johnson lâche le morceau
Après son arrestation, Johnson amène le détective Murray sur un terrain juste à l’extérieur de Toronto où le faussaire a enterré, sous un arbre, 21 de ses plaques d’impression originales. Elles ont été utilisées pour contrefaire huit billets différents émis par le gouvernement et des banques commerciales.
Chez les Johnson, la contrefaçon est une affaire de famille : le père grave les plaques aux États-Unis, ses deux filles imitent les signatures (pratique à laquelle elles avaient été initiées dès leur plus jeune âge) et ses cinq garçons apprennent le métier de graveur. Au moment de son arrestation, Johnson a 75 ans.
Les Johnson impriment des billets une fois l’an. Les plaques sont ensuite recouvertes de cire d’abeille et d’une toile cirée, puis enterrées. Les billets sont confiés à un grossiste, qui les remet à un détaillant, lequel les remet à son tour à un « passeur » qui utilise les billets pour payer. Il était rare de voir un faussaire écouler ses propres billets. Mais durant ses beuveries, Johnson fera l’erreur d’utiliser ses faux billets. Et c’est ce qui causera sa perte.
Départager les faits de la fiction : une étude des faux billets de Johnson
Lorsqu’on compare un faux à un billet authentique, on note rapidement de subtiles différences. Toutefois, à l’époque de Johnson, autant le gouvernement que les banques commerciales émettent de la monnaie. Il y a donc des dizaines de styles de billets différents en circulation, et il n’est pas étonnant que les banquiers et caissiers ne remarquent pas ces différences. La majorité de la population n’a certainement pas l’habitude de manipuler des billets et ne connaît pas assez bien leurs éléments de sécurité pour être capable de reconnaître un faux.
Des renseignements essentiels sur les faux en circulation connus sont alors publiés dans des livrets. Même si ces « détecteurs de contrefaçon » s’adressent surtout à des lecteurs américains, plusieurs numéros traitent de billets et de documents financiers canadiens. Les banquiers, caissiers et commerçants s’abonnent à ces publications mensuelles pour rester au fait de la monnaie louche en circulation, y compris les billets de Johnson.
Monnayeurs légitimes et faux-monnayeurs saluent l’excellence du travail de Johnson. C’est d’ailleurs la minutie de Johnson qui le trahira, ses billets étant bien plus ressemblants que les pâles copies des autres imprimeurs amateurs. En fait, ils sont parfois de meilleure qualité que les originaux, un élément qui attire l’attention des corps policiers.
Les banques acceptaient ses billets à leurs propres guichets… Les cadres dont la signature avait été contrefaite étaient incapables de distinguer la fausse signature de la leur. »
John Wilson Murray
La Banque Dominion
Le billet de 4 dollars émis en 1871 par la Banque Dominion (maintenant la Banque TD) montre bien le talent de Johnson. Il s’agit d’un billet très complexe comprenant de nombreux éléments graphiques. La gravure de Johnson est plus raffinée que celle du billet authentique et les traits du visage du prince Arthur, plus réalistes. Cette remarquable contrefaçon contraint la Banque Dominion à émettre, en 1876, un nouveau billet de 5 dollars plus complexe et plus sûr. Les nouveaux portraits, la grande vignette centrale et, plus important, un fond rouge et vert, rendent le billet beaucoup plus sûr. Les couleurs supplémentaires nécessitent l’utilisation d’un plus grand nombre de plaques et l’ajout d’étapes au processus d’impression, ce qui complique la contrefaçon du billet.
La Banque Canadienne de Commerce
La contrefaçon du billet de 5 dollars de 1871 de la Banque Canadienne de Commerce est peut-être la moins réussie de Johnson. Les traits du visage de la reine Victoria, clairs et distincts sur le billet authentique, manquent de finesse. Malgré la piètre qualité de la gravure, le Counterfeit Detector qualifie le travail de Johnson de « très dangereux ». La prolifération de ces faux pousse la Banque Canadienne de Commerce à émettre un nouveau billet de 5 dollars en 1879 et à retirer les anciens de la circulation.
L’Ontario Bank
La contrefaçon du billet de 10 dollars de 1870 émis par l’Ontario Bank est habilement exécutée. Le Counterfeit Detector attire toutefois l’attention sur les traits du visage du bûcheron figurant dans la vignette de gauche. Quand on les observe de près, ils font penser à ceux d’un loup-garou. Un billet de 10 dollars redessiné est mis en circulation en 1882 afin d’enrayer la propagation des faux, mais il semble qu’aucun de ces billets ne soit parvenu jusqu’à nous.
Les billets du Dominion du Canada
Dans ses mémoires, le détective John Wilson Murray fait allusion à la saisie de plaques d’impression créées par Johnson pour un billet de 1 dollar du Dominion du Canada, mais il ne précise pas s’il s’agit de l’émission de 1870 ou de 1878. Le journal The Globe mentionne également la présence d’un billet de 2 dollars du Dominion parmi les faux de Johnson, ce dont Murray ne parle pas.
On peut donc se demander lesquels parmi les faux billets du Dominion peuvent être attribués à Edwin Johnson. Peut-être tous! Nous pouvons penser que plus d’un faux-monnayeur a copié la coupure de 2 dollars de 1878, parce qu’il y en a différentes versions dans la Collection du Musée. Certaines sont beaucoup trop maladroites pour être l’œuvre de Johnson. Dans l’ensemble, les tentatives de reproduire les billets du Dominion ne sont guère réussies. Les portraits, en particulier celui du comte de Dufferin figurant sur le billet de 2 dollars, sont grossiers et sans vie.
Le procès d’Edwin Johnson
Le procès d’Edwin Johnson a lieu à Toronto, à l’automne 1880. Il plaide coupable à sept chefs d’accusation. En raison de son âge et de sa coopération exemplaire, Johnson reçoit une peine avec sursis. Le détective Murray demande que Johnson et ses filles soient remis aux autorités américaines pour y comparaître. Le célèbre faux-monnayeur mourra avant d’être jugé au sud de la frontière.
Après le décès de Johnson, d’autres membres de la famille s’établissent aux États-Unis, où ils continuent leurs pratiques criminelles. Ses fils sont appréhendés dans différentes villes américaines. Son fils Charlie purge une peine de prison pour ensuite déménager à Detroit où il reprend ses activités de contrefaçon. Il est arrêté et condamné une deuxième fois en 1893, et ce ne sera pas la dernière.
L’intérêt des collectionneurs pour les faux de Johnson
Bien que plusieurs tentatives aient été entreprises au 19e siècle pour contrefaire des billets de banque, peu d’entre elles ont égalé le travail de la famille Johnson. Grâce au récit romancé de John Wilson Murray sur le scandale du million de dollars en faux billets de la fin des années 1870, les collectionneurs et numismates ont pu cerner les caractéristiques qui distinguent les billets de Johnson. Ces derniers, fascinés par la qualité du travail de Johnson, ont commencé à collectionner ses contrefaçons. La Collection nationale de monnaies du Musée compte 370 faux billets canadiens. Environ 80 % de ces billets datent d’avant la fondation de la Banque du Canada, et 45 sont attribués à Edwin Johnson.
The Museum Blog
Le mot du directeur : Une aide fort appréciée
Par : Ken Ross
Dans un de mes meilleurs moments de cinéma, Josh Waitzkin, un petit prodige des échecs âgé d’alors onze ans, fait le vide dans son esprit et imagine qu’il débarrasse l’échiquier devant lui de ses pièces pour mieux réfléchir à sa stratégie en vue d’une partie déterminante. On est dans un tournoi et il est sur le point de le remporter.
Les présentoirs sont presque vides
Par : Graham Iddon
Plus de 2 000 pièces de monnaie, billets de banque, perles et coquillages sortent de leur vitrine pour la première fois depuis qu’ils y ont été placés, en 1980. Le personnel de conservation du Musée s’affaire à retirer les panneaux des vitrines, à placer les pièces dans des tiroirs spécialement conçus pour les recueillir et à glisser les billets dans des enveloppes sans acide en mylar.
Le Musée commence à se vider
Par : Graham Iddon
Les festivités des fabuleux adieux du Musée de la monnaie venaient à peine de se terminer que le conservateur en chef, Paul Berry, et son équipe commençaient à vider les vitrines, qui n’avaient pas été ouvertes depuis 1980. La tâche la plus colossale a été de retirer les quelque 2 500 billets de banque exposés dans la salle communément appelée « galerie 8 ».
Les billets de la Collection : Congrès de l’ARNC de 2013 à Winnipeg
Par : David Bergeron
Le congrès de l’Association royale de numismatique du Canada (ARNC) s’est conclu en juillet dernier à Winnipeg, au Manitoba. Il y avait plus de trente ans que l’ARNC n’avait pas tenu son congrès dans cette ville.
Le grand départ de nos gros artéfacts
Par : Graham Iddon
Le 2 juillet, le Musée a fermé ses portes pour être rénové. Dans cette optique, vers la fin du mois de mai, des techniciens ont commencé à procéder au déménagement des artéfacts les plus volumineux. Le premier à partir a été le coffre-fort.
Le mot du directeur - c’est le début d’un temps nouveau
Par : Ken Ross
« Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre » : nous connaissons presque tous cette citation célèbre d’Alexander Graham Bell. Cependant, nous oublions souvent qu’elle comporte une deuxième partie : « Mais nous regardons souvent si longtemps et avec tant de regrets la porte fermée que nous ne voyons pas celles qui s’ouvrent pour nous. »